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depuis près de vingt ans, sur ce qu’il fallait entendre. Plus d’entraves, plus de règles, plus de critiques surtout, mais à chacun le droit d’écrire mal, si c’était sa manière ; et nul, dit-on, sur ce chapitre, n’était plus amusant à entendre que Gautier lui-même. Il a d’ailleurs écrit tout un livre, et l’un de ses meilleurs, sur les Grotesques du temps de Louis XIII, Théophile, Saint-Amant, Scarron, pour les venger à la fois des régies et des dédains de Boileau. Ce n’en est pourtant pas moins lui, nouveau tyran des mots et des syllabes, — et je ne le dis pas pour l’en reprendre, mais au contraire pour l’en louer, — c’est lui, l’auteur d’Émaux et Camées, qui a réintégré dans l’art, avec le respect et le souci de la forme, des règles nouvelles, si l’on veut, mais guère moins étroites que les anciennes. « Tout s’apprend en ce monde, répétait-il volontiers, et l’art comme le reste. En résumé, qu’est-ce que l’art ? Une science aussi, la science du charme et de la beauté. » Cette science du charme et de la beauté, nos pères, moins prétentieux, l’appelaient tout simplement le style, mais c’était bien la même science, au moins dans son principe, sinon dans ses moyens et dans ses procédés. Et je m’étonne, sans doute, que Gautier, dont après tout ce n’était point l’affaire, n’ait point vu qu’en donnant ces leçons de son art, il en revenait tout bonnement à ce Boileau qu’en toute autre occasion il maltraitait si fort. Mais je m’étonne encore bien plus que de très honnêtes gens, qui jurent volontiers par Boileau, se soient moqués si souvent, et d’ailleurs agréablement, des Parnassiens, de Gautier, de leur préoccupation de la rime rare ou riche, et généralement de l’importance qu’ils attachent à une question de langue, de grammaire et de métrique. C’est comme ceux qui reprochent au Jésus-Christ de M. Zola ce qu’ils ne pardonnent pas seulement, mais encore ce qu’ils admirent chez le Panurge de Rabelais.

Mais, on ne saurait trop le redire, les vers ne sont pas de la prose, et la prose n’est pas des vers. Secondaire peut-être en prose, — et encore ceci vaudrait-il bien la peine d’être longuement discuté, — la question de forme est capitale en vers. Elle l’est surtout dans une langue telle que la nôtre, peu sonore d’elle-même, où peu de mots font naturellement image, où le vocabulaire habituel du poète ne diffère qu’à peine de celui du philosophe ou de l’historien. C’est là, pour écrire en vers, qu’il faut avoir appris et compris « le pouvoir d’un mot mis en sa place ; » là, qu’il faut savoir trouver, dans la difficulté même de la rime, une source, comme disait autrefois Malherbe, de « nouvelles pensées ; » là surtout, qu’il ne faut jamais prendre une licence, ou seulement une liberté que ne souffrirait pas la prose ; là, enfin, qu’il faut se rappeler qu’une a belle pensée » ou un « cri du cœur, » ne se séparent pas des mots qui les traduisent. « Vouloir séparer le vers de