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« nostalgie » de ce qui fut et qui n’est plus. Tel est encore ce don de voir, de montrer et de peindre’, cette imagination a plastique, » ainsi qu’on l’a très bien nommée, qui est d’un peintre, si l’on veut, ou d’un sculpteur, non moins nécessaire, cependant, ou même essentielle au poète que ne l’est à l’orateur une imagination « musicale, » en quelque sorte, et le don de satisfaire, de séduire, d’enchanter l’oreille. Une poésie vague, avec du sentiment et même du mouvement, mais sans contours ni couleurs, n’est en vérité qu’une espèce de métaphysique, un peu plus prétentieuse que l’autre. Et telle est enfin cette faculté ou fécondité d’invention verbale, ce sens de l’épithète ou de l’adjectif, divers et nuancé, qu’il aimait lui-même à vanter en lui, et qu’en effet de plus grands que lui n’ont (pas en comme lui. Tout est bleu dans Lamartine, et tout est « fauve » dans Hugo. D’ailleurs, les qualités qui manquent à Gautier sont assez nombreuses, et d’assez de prix, — mouvement et sentiment, éloquence et passion, harmonie et pensée, je n’en rappelle ici que quelques-unes, — pour que l’on ne lui marchande point celles qu’il eut d’un vrai poète, je le répète, et non pas seulement d’un artiste. C’est un poète fort incomplet, qui, connaissant lui-même les bornes de son propre talent, a eu la sagesse de ne les point passer, en même temps que l’habileté de faire croire aux siens qu’elles étaient les bornes de l’art, mais c’est un poète, et il faudra lui en garder le nom.

Quoi que l’on pense, au surplus, de son œuvre elle-même, et quand elle serait destinée, comme on le croit, à périr prochainement tout entière, je voudrais encore et surtout que l’on eût reconnu, sur toute une direction, si je puis ainsi dire, de la littérature contemporaine, l’influence considérable des exemples, des conseils et des paradoxes de Gautier. « Je m’entourerai déjeunes gens, disait-il un jour à M. Emile Bergerat, et je les initierai aux secrets de la forme et aux mystères de l’art ; » et, en effet, c’était là sa vraie vocation. Mais ce rôle de maître ou d’initiateur dont il rêvait en souriant de faire l’occupation de sa vieillesse, il oubliait qu’il l’avait tenu, sans presque s’en douter lui-même, dans les premières années du second empire ; — et nous le voyons aujourd’hui. Favorisé par les circonstances ; Lamartine étant presque oublié tout vivant, Hugo retiré là-bas dans son ile, Vigny toujours enfermé dans sa a tour d’ivoire, » Musset déjà plus d’à demi mort, et Sainte-Beuve, enfin, « rangé » dans la critique ; l’auteur de Mademoiselle de Maupin s’est ainsi trouvé, pour toute une génération de jeunes gens, l’unique représentant du romantisme, et je dirais volontiers, si je ne craignais, en le disant, de soulever ses os dans sa tombe, qu’il en est devenu le Malherbe ou le Boileau. Parmi les poètes qui se sont fait connaître depuis 1848, combien en pourrait-on citer, et lesquels, qui n’aient plus ou moins subi l’influence de Théophile Gautier, ou encore,