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pouvoir à l’accroître sans cesse. Les moyens qu’il emploie sont divers. Tel député, homme sérieux, qui a de l’étude, acquiert une réelle compétence dans certaines questions spéciales, et ses connaissances peuvent servir à d’autres que lui. Ce député n’est pas un politicien. Les vrais politiciens dédaignent les spécialistes, ils se piquent de tout savoir sans avoir rien appris. Il y en a qui ont du talent pour la parole et le don de s’échauffer à froid. Tel autre, qui ne sait pas parler ou que la tribune épouvante, a l’esprit d’intrigue et de manège. Tel autre a un journal qui travaille à sa gloire, et dans les temps troublés, il a ce double bonheur que du même coup son importance et son tirage augmentent. Que s’il réussit à faire croire à son étoile et à devenir chef d’un petit groupe, il peut tout espérer. Mais les politiciens n’ont pas tous les mêmes ambitions. Les uns, qui ont de la vanité, rivent de devenir ministres ; d’autres, méprisant les viandes creuses et préférant l’être au paraître, aiment mieux passer leur vie à faire et de faire des cabinets, et, sans contredit, c’est le parti le plus sûr.

En général, la politique du dehors laisse le politicien assez indifférent. On en connaît qui sont de bons patriotes, et si la patrie était en danger, on pourrait compter sur eux. Mais le patriotisme du politicien est intermittent. Dans l’habitude de la vie, il se soucie très peu de ce qui se passe au-delà des frontières, et il ne faut pas lui demander de sacrifier à la sûreté ou à la gloire de son pays ses opinions qu’il prend pour des principes. Quant à la politique du dedans, il la comprend à sa façon. Il n’est pas de ces niais qui considèrent la paix publique comme le souverain bien ; il aime à remuer les eaux tranquilles, il sème le vent au risque de récolter la tempête : si on ne disputait plus, que deviendraient les politiciens ? Ses électeurs l’ont nommé pour faire triompher leurs idées, leur programme.il est souvent assez intelligent pour trouver ce programme absurde ; mais il a le courage de l’absurde. Tout compromis lui paraît méprisable, et il traite ses adversaires sans ménagement : il a tous les droits, il leur laisse tous les devoirs. S’il fait partie de la majorité, il estime que le seul droit des minorités est de se soumettre, sans en appeler ; s’il représente une minorité, il la tient pour la vraie majorité. N’eût-il derrière lui qu’un tout petit groupe, il ne dit pas : mes amis et moi ; il dit : nous, et nous, c’est la nation, c’est quelquefois l’univers.

Il est de son naturel grand partisan des réformes ; mais qu’il s’agisse de douanes, d’impôts, d’écoles ou du recrutement de l’armée, il ramène tout à la politique, et fait de tout une question de parti. Peu lui importe que la loi qu’il vote soit inapplicable, il a trouvé une occasion de plus d’affirmer ses principes. Il a sans cesse devant les yeux les meneurs d’élections qui l’ont fait élire, et ceux qu’il courtise le plus sont les plus déraisonnables, parce que d’habitude la déraison