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la fois dans la même société : l’incrédulité règne en haut[1] ; en bas, une foi d’autant plus aveugle, et, chez les politiques, une adhésion tout extérieure au culte officiel conservé comme instrumentum regni. On va en même temps aux dernières limites du scepticisme ou de la superstition, et surtout l’on va à l’indifférence religieuse. Ainsi, à Rome, en face de Lucrèce écrivant pour la jeune noblesse son poème audacieux, les cultes corrupteurs de l’Asie et de l’Egypte gagnent de proche en proche tous les bas-fonds de la cité. En France, les convulsionnaires sont contemporains de La Mettrie ; à Athènes, tandis qu’Alcibiade ou ses amis bafouent les mystères et qu’Aristophane enlève aux dieux le gouvernement de monde, bien des gens fatigués de leurs anciens protecteurs, qui ne les protègent plus, acceptent les divinités sensuelles que leur apportent les innombrables étrangers accourus des côtes d’Asie au Pirée : une déesse de la Thrace, Cotytto, un dieu phrygien, Sabazios, le Syrien Adonis, et Cybèle, « la Grande Mère, » dont les prêtres éhontés mendiaient par les rues ou pénétraient dans les maisons en y portant leur déesse sur une planchette ; ils expliquaient les songes, vendaient des amulettes et disputaient aux devins la curiosité de ceux qui, ne sachant plus où se prendre pour croire, s’attachaient aux charlatans religieux qui leur versaient l’ivresse du surnaturel. On délaissait les anciens rites : les uns, pour quelques idées élevées qu’ils pouvaient découvrir dans les cultes nouveaux, le plus grand nombre pour la licence des religions orgiastiques de l’Orient, les sortilèges de pieux jongleurs et les prétendues révélations des oracles orphiques.

De tout temps, le droit de s’associer avait existé à Athènes. À chaque divinité correspondait une confrérie qui accomplissait toutes les dévotions requises par son culte : les citoyens seuls pouvaient en faire partie, mais l’usage existait ; les étrangers s’en autorisèrent pour former des associations religieuses, thiases, éranes, orgéons, dans lesquelles furent admis des femmes, des ; affranchis, même des esclaves.

Au milieu de cette promiscuité fermentaient beaucoup d’industries malsaines et de débauches du corps et de l’esprit ; c’était un dissolvant actif pour la cité. Il existait bien une loi punissant de

  1. Ce mouvement avait commencé depuis deux ou trois générations. Hécatée de Milet trouvait (vers 500) beaucoup de fables ridicules dans la légende et en interprétait d’autres à un point de vue rationaliste. Cerbère devenait un serpent qui habitait une caverne du cap Ténare ; Géryon, un roi d’Épire, riche en troupeaux. Thucydide ne croit pas à la race des héros distincte de celle des hommes qu’Hérodote admettait encore, et s’efforce de ramener les faits de l’âge mythique à la réalité historique, en les dépouillant de tout merveilleux.