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non-seulement devant l’opinion, mais devant la loi, par des garanties spéciales.


VI

Tout droit reste imparfait et boiteux tant qu’il n’est pas déterminé, garanti et protégé par la loi et par les pouvoirs qui la représentent. L’honneur ne fait pas exception ; mais, de tous les droits, c’est celui qui a toujours trouvé, dans l’état légal, l’appui le moins assuré. Dans notre législation, nul article d’aucun code n’en donne une définition exacte et précise ; nulle juridiction n’a réussi à réprimer d’une façon à la fois équitable et efficace les outrages qu’il peut subir. La justice civile lui fait attendre, après de longs délais et des débats plusieurs fois renouvelés, en première instance, en appel, en cassation, où il reçoit le plus souvent de nouvelles et plus graves atteintes, une réparation presque toujours insuffisante. En police correctionnelle, les délais sont un peu plus courts ; mais l’honneur y est exposé aux mêmes périls, de la part des témoins ou des avocats, et la réparation qu’il peut espérer n’est ni plus sûre ni plus efficace. La juridiction des cours d’assises abrège également les délais, mais le résultat est encore plus incertain et, dans l’hypothèse la plus favorable, la réparation n’a pas plus de valeur. La tendance habituelle du jury est d’acquitter également l’offenseur et l’offensé : le premier pour son offense, quelle qu’en soit la gravité, le second pour la vengeance qu’il en a tirée, fût-ce par le meurtre. Le code pénal lui-même déclare « excusable, » et, par suite, exempt de toute peine, le meurtre commis par un mari sur sa femme, s’il l’a surprise en flagrant délit d’adultère.

En signalant de nouveau l’insuffisance des garanties légales en matière d’honneur, nous ne faisons que constater l’incompétence de l’état dans tout ce qui touche à l’ordre moral proprement dit. Cette incompétence, toutefois, ne doit être considérée que comme relative. Partout où il y a des droits, quel qu’en soit l’objet, l’ordre légal ne saurait abdiquer. Il peut n’offrir qu’une protection imparfaite, mais il doit offrir toute la protection compatible avec ses conditions propres.

Les conditions de la protection légale, en ce qui concerne l’honneur, se rapportent à la loi, à la juridiction, à la réparation.

La loi, nous l’avons reconnu, ne peut enfermer l’honneur dans des définitions précises ; mais elle peut définir les cas dans lesquels il reçoit sa garantie.

La règle générale qui attache le droit de l’honneur au seul fait de la considération acquise, quelle qu’en soit l’origine ou la valeur