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Combien la double appréciation des circonstances de la faute et des conséquences de la dénonciation est-elle plus obligatoire, quand il s’agit d’une de ces fautes que le code n’a pas prévues ou que la prescription soustrait à ses rigueurs, et qui ne relèvent que de la conscience publique ! Ici, d’un côté, toutes les garanties protectrices de la loi font défaut, et, de l’autre, si le châtiment, dans sa forme propre, reste tout moral, il est sous l’empire des passions aveugles auxquelles obéit trop souvent l’opinion, et il peut avoir, dans l’ordre matériel lui-même, les plus terribles contre-coups. Enfin, combien de fois les moyens de défense, d’excuse et d’atténuation ne manqueront-ils pas, alors même qu’ils auront toute liberté de se produire et de se discuter dans un procès public ? Ces fautes que la loi ne peut atteindre, par suite de leur caractère indéterminé ou de la longueur du temps écoulé depuis qu’elles ont été commises, sont les plus difficiles à établir ou à expliquer, soit en elles-mêmes, soit dans l’ensemble de leurs circonstances. Souvent on ne réussira, de part et d’autre, qu’à faire naître et à entretenir le doute. Or, devant la justice, le doute profite à l’accusé ; mais devant l’opinion, par suite d’une malignité naturelle, il profite surtout à l’accusateur.

L’un des pires effets de ces révélations, même lorsqu’elles sont le mieux fondées et qu’elles ne s’inspirent que de motifs désintéressés, c’est qu’elles ne mettent pas seulement en cause la véracité de l’accusateur et l’honneur de l’accusé ; elles rejaillissent presque toujours sur des tiers par les débats qu’elles provoquent. Elles entraînent la divulgation de douloureux secrets de famille, et s’il s’agit de la propre famille de l’accusé, elles pourront le mettre dans la cruelle alternative de sauver son honneur aux dépens de l’honneur des siens ou de sacrifier le premier au second.

Nous avons supposé jusqu’ici des allégations bien fondées et produites de bonne foi, dans une intention honorable ; mais on ne peut compter, dans la réalité, sur la réunion de ces trois conditions. On ne joue pas volontiers le rôle d’accusateur dans un pur esprit de justice. Il faut, si l’on est ou si l’on prétend rester honnête, y être poussé par quelque passion, dont l’effet le plus ordinaire sera de fausser le jugement et d’altérer la bonne foi. On croit aisément ce qu’on désire croire ; on est facile sur les témoignages et sur les preuves. On est facile aussi sur les mobiles d’une révélation qu’on a plaisir à faire. Ceux mêmes qui ne s’en font pas honneur comme d’un acte de justice aiment à n’y voir qu’une anecdote innocemment piquante. Les uns s’en exagèrent à eux-mêmes la gravité, les autres l’atténuent ; des deux côtés, on fait effort en sens contraire pour se dissimuler ce qu’un tel acte peut avoir d’odieux.

Soit, dira-t-on : du moment qu’on trompe les autres en se