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autorise, fait abstraction de leurs motifs. Il n’exige pas, suivant l’exacte et profonde distinction de Kant, qu’elles soient accomplies par devoir, mais qu’elles soient conformes au devoir ; cette condition est remplie dans notre hypothèse. Voilà pourquoi, quels que soient les mobiles du service rendu au public par la révélation d’un secret infamant pour un homme faussement honoré, nous y devons reconnaître un droit dont l’exercice n’est soumis qu’à une condition : la preuve de la vérité des faits allégués.

Une autre hypothèse montrera, mieux que tout argument, combien un tel droit est exceptionnel. Je connais encore un secret infamant, ne concernant cette fois qu’un père de famille, qui vit dans une sphère modeste, entouré de l’affection et du respect des siens et en possession de l’estime générale. Il a fait tous ses efforts pour racheter, par une vie sans reproche, une seule faute, déjà ancienne, ignorée de presque tous. La considération dont il jouit et dont il tire profit n’est pas moins usurpée, car il la perdrait si sa faute était connue. Elle est, dans une certaine mesure, un vol fait au public, puisqu’elle porte avec elle des avantages qui vont à un moins digne, au détriment peut-être d’un plus digne. C’est donc, dans cette hypothèse, comme dans la précédente, faire œuvre utile que de révéler la vérité. C’est remplir encore envers le public un devoir d’assistance. — Le devoir est-il vraiment le même ? A-t-il les mêmes caractères ? Le service que je rends est petit et indéterminé. Le mal que je fais est immense. Je détruis le bonheur de toute une famille. Je fais plus : je retire au père de famille l’autorité dont il a besoin pour remplir ses devoirs envers ses enfans ; car je lui dérobe leur respect, sans lequel l’autorité paternelle n’est rien. Je mets enfin à néant, pour une tache unique, tous les titres que ma victime a pu conquérir, par une longue série d’actions honorables, à l’estime de nos concitoyens.

Qu’importe ? dira-t-on : il ne s’agit ici que des intérêts d’un individu et d’une famille. Le devoir fait abstraction des raisons d’utilité. Fais ce que dois, advienne que pourra. — On oublie que le devoir d’assistance, — et on ne peut pas invoquer un autre devoir, — a précisément pour objet des actes utiles, soit à quelques-uns, soit à tous. Les raisons d’utilité, loin de pouvoir être écartées, sont ici dominantes.

Non, dira-t-on encore : la révélation d’une vérité qui fait cesser une usurpation d’honneur, c’est-à-dire un véritable vol, n’est pas un devoir de pure assistance, c’est un devoir de stricte justice, contre lequel ne saurait prévaloir aucune considération d’un autre ordre. — On donne ici au devoir de justice une extension contraire à sa définition juridique, comme à sa conception philosophique. D’homme à homme, dans cette « société générale du genre humain » que