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même équivalentes. On peut être un très malhonnête homme et faire montre de bravoure, une épée ou un pistolet à la main. Une contenance plus ou moins ferme n’atteste même pas le véritable courage. Imposée par le préjugé du duel, elle n’est quelquefois qu’un effort tout extérieur qui cache la défaillance intérieure ; quelquefois aussi, elle est due tout entière à la confiance d’une supériorité éprouvée dans le maniement des armes. On n’est pas nécessairement un homme de cœur pour être un bretteur habile. On n’est pas, d’un autre côté, un lâche pour faiblir momentanément dans un combat de quelques secondes, où bien des causes toutes physiques peuvent faire trembler la « carcasse, » comme disait Turenne de son propre corps, sans qu’elle cesse de revêtir une âme fière et vaillante.


III

Le duel n’est excusable que par l’impuissance de la loi et de la justice légale. Cette impuissance est de deux sortes : elle porte, soit sur l’appréciation même de l’honneur, soit sur la réparation qu’il a le droit d’obtenir quand il a été offensé.

Nul ne demande et ne croit possible une appréciation générale de l’honneur dans un texte législatif ; mais on voudrait que, dans les arrêts judiciaires, sur des cas particuliers, l’honneur vrai fût apprécié, et, par suite, fût seul protégé. On voudrait, en d’autres termes, que les débats et le jugement fissent toujours la lumière sur la distinction entre la simple diffamation et la calomnie.

La distinction n’est pas étrangère à la loi. La calomnie seule est punie quand il s’agit d’un fonctionnaire public, ou, s’il s’agit d’un particulier, quand elle s’est produite sous la forme d’une dénonciation adressée à l’autorité judiciaire.

Pourquoi, dans ces deux cas, les débats judiciaires et l’arrêt du tribunal portent-ils sur la vérité ou la fausseté des faits et, par suite, sur la qualité même de l’honneur qui a été mis en cause par des allégations infamantes ? C’est qu’on peut remplir un devoir, d’un côté, en signalant les abus commis par un fonctionnaire, de l’autre, en dénonçant à la justice un fait légalement qualifié de crime ou de délit. S’il y a eu possibilité d’un devoir, il y a exercice légitime d’un droit, et le dénonciateur doit être admis à en faire la preuve, en établissant la vérité de ses allégations. Dans les deux cas, la considération mal acquise cesse d’être un droit respectable pour autrui.

En est-il ainsi dans tous les autres cas ? Alceste dirait oui, et, de nos jours surtout où les moins rigoristes répugnent à trouver quelque ridicule dans Alceste, beaucoup lui donneraient raison.