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I

Ce n’est pas sans raison que la considération et l’honneur ont, pour l’opinion et pour la loi elle-même, la valeur d’une propriété. Il s’y attache, en effet, des avantages d’ordre moral et d’ordre matériel, tout ensemble, qui s’acquièrent, comme tous les genres de propriété, par le travail personnel ou par héritage, et qui se justifient, dans cette double origine, comme tous les genres de propriété et comme tous les droits en général, parce qu’ils sont une force au service du devoir.

Chacun se sent plus fort, dans ses rapports avec les autres hommes, s’il est entouré de considération, d’estime ou de respect. Notre intérêt bien entendu, — et l’intérêt de nos devoirs ne s’en sépare pas, — exige donc que nous nous efforcions, par tous les moyens légitimes, de nous concilier ces sentimens, et, puisqu’ils s’attachent aux familles comme aux individus, nous avons le droit d’en rechercher le bénéfice pour nos enfans comme pour nous-mêmes. Il y a une juste présomption d’honneur, pour tous les membres d’une même famille, où, par l’effet de l’éducation et des exemples, par l’effet même de l’hérédité, se sont toujours maintenues des traditions honorables. Cette présomption forme très légitimement ce qu’on appelle un « héritage, » un « patrimoine d’honneur. » Ce patrimoine, comme toute autre propriété, peut s’évaluer en argent, au profit de celui qui l’a créé ou de ses ayans-droit. C’est ce que font les tribunaux quand ils accordent des dommages-intérêts pour l’honneur offensé.

La valeur intrinsèque d’un tel patrimoine est rarement pure de tout alliage. La considération n’exprime que des jugemens humains, où l’erreur, le caprice, les préjugés de toute sorte ont tant de part. Elle se donne souvent à la situation extérieure plutôt qu’au vrai mérite, et alors même qu’elle ne tient compte que des titres personnels, elle est loin d’en être l’exacte et adéquate appréciation. Le hasard est pour beaucoup dans la façon dont elle s’acquiert et dont elle se perd. S’il n’est pas permis de la dédaigner, il est sage de ne pas en faire l’unique ou le principal but de nos efforts. Il faut toujours, pour soi-même ou pour autrui, se réserver le droit d’en appeler de l’opinion courante à l’opinion mieux informée, et, quel que soit le succès de cet appel, garder la liberté de son propre jugement, en s’efforçant d’y apporter toute la droiture et toute l’impartialité possibles.

Le droit ne va pas toutefois, en ce qui concerne autrui, jusqu’à permettre, en tout état de cause, de dépouiller quelqu’un d’une considération que l’on juge mal acquise. C’est un nouveau