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commençaient à s’arrêter les souverains de la sainte-alliance. Il pouvait contenir à la fois les révolutions et les contre-révolutions, être à la fois un conservateur et un libéral.

A cette époque, un changement très curieux se produit dans les relations d’Alexandre et de Richelieu. En 1815, l’empereur était peut-être plus libéral que le duc ; il avait plus de confiance que lui dans les chartes et les institutions représentatives ; il avait contribué à faire obtenir à la France une constitution ; il en avait donné une à la Pologne ; il rêvait d’en doter un jour la Russie. A partir de 1820, il se rapproche des gouvernemens absolus, devient l’âme de la politique des congrès, pousse à la répression des mouvemens allemands, espagnols, italiens, entre en conflit avec les chambres polonaises et, par esprit conservateur, abandonne même les Grecs à la tyrannie ottomane. Dans l’atmosphère despotique de la Russie, sous l’influence néfaste d’Arakhtchéef, il tend à redevenir un despote. Au contraire, Richelieu, qui, en 1815, nous était arrivé avec les idées et les goûts les moins parlementaires, subit de plus en plus l’influence du milieu français. Il commence à se réconcilier avec le régime des chambres et la liberté de la presse. En France, il est plus libéral que l’étiquette du ministère qu’il préside, plus libéral que l’œuvre qu’on lui a imposée. Il aperçoit mieux les bons côtés du caractère français ; il admire avec quelle rapidité le pays s’est relevé, à tel point que, tandis que tous les autres gouvernemens font des emprunts, le sien a pu même diminuer les impôts. En Europe, il comprend la légitimité de certains griefs des peuples contre leurs gouvernans. Bref, il est devenu un homme de son pays, de son temps, et il démêle parfaitement les caractères de ce temps, fécond malgré ses agitations, qui n’est que le laborieux enfantement d’un avenir meilleur. « Je reconnais, écrit-il à Capo d’Istria, que l’époque actuelle est marquée par la Providence pour des changemens et des modifications dans l’ordre des sociétés. C’est à rendre le passage de l’ordre ancien à l’ordre nouveau exempt de secousses et de convulsions que les hommes appelés à s’occuper des affaires publiques doivent s’attacher aujourd’hui. Ceux qui, comme nous, ont déjà adopté ces institutions nouvelles, sont dans l’obligation de les affermir et de les consolider de tous leurs efforts. Ce n’est que par ce moyen qu’on peut espérer se préserver de nouvelles révolutions. » Ainsi, l’Europe doit enfin passer de l’âge despotique à l’âge parlementaire, et c’est par la liberté seulement qu’on peut prévenir les bouleversemens sociaux. Voilà une profession de foi qui est toute nouvelle chez Richelieu.

Aussi le voyons-nous combattre auprès d’Alexandre et de ses conseillers l’idée d’une intervention à main armée dans les affaires de Naples : « Que la voie des armes ne soit admise que quand tous les