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Mer-Noire. Malheureusement, l’entente cordiale entre les deux cabinets de France et de Russie avait été un peu affectée par son départ du ministère. « Vos successeurs, lui écrivait Nesselrode, peuvent être les meilleurs gens du monde ; mais ce n’est pas vous, mon cher duc. Vous trouvez donc assez naturel que l’empereur ait pris le parti très sage d’aller, pour le premier moment, un peu bride en main en fait d’épanchemens et de confiance. » Le même sentiment se trouve exprimé, quoique de manière plus discrète, dans une lettre de l’empereur.

Le ministère Decazes ne devait pas durer longtemps : l’élection de Grégoire, l’assassinat du duc de Berry, le renversèrent et firent souffler de nouveau un vent de réaction. Richelieu fut, pour la seconde fois, appelé aux affaires : c’était dans des conditions qu’on peut trouver encore moins favorables que la première fois. En 1815, il se présentait en homme étranger aux coteries et uniquement dévoué à la cause nationale ; en 1820, il reparaissait en homme de parti, en chef d’un ministère de répression et de réaction, ayant pour mission de revenir sur toutes les lois libérales en matière de presse et de système électoral. Alexandre dut lui écrire pour relever son courage : « Vous êtes appelé par le roi à devenir le médiateur entre les passions extrêmes et les partis qu’elles enfantent… C’est assez vous dire que les vœux des alliés de Sa Majesté très chrétienne et les miens aussi vous accompagnent dans la carrière laborieuse que vous allez fournir. »

L’attitude des puissances étrangères était redevenue menaçante. On affectait de rendre la France responsable des troubles qui commençaient à se manifester dans certaines parties de l’Europe. « Si le cabinet des Tuileries, écrivait Capo d’Istria à Richelieu, n’avait point cessé d’être sous votre direction, si une sage modération avait continué à présider au gouvernement intérieur de la France, croyez-vous que l’on ait encore osé parler de quadruple alliance ? Croyez-vous qu’une poignée de savans ou d’élèves d’universités eut suffi pour exciter tant d’alarmes et pour donner occasion au système absurde qu’on s’efforce d’établir en Allemagne ? .. Croyez-vous que ce fussent des démagogues forcenés qui seraient venus apprendre à Ferdinand VII que l’Espagne ne peut plus être gouvernée par des camarillas ? .. C’est vous, vous seul, vous de votre personne, qui pouvez donner à l’Europe une France utile et bienfaisante… Moins votre personne à la tête du ministère français, il n’y a plus de France pour le monde ! »

Ainsi, le rôle qu’on attribuait à Richelieu était encore grand : en enrayant la révolution en France, il devait l’enrayer en Europe et, du même coup, modérer les idées de réaction auxquelles