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En même temps qu’il défendait si chaudement leurs intérêts, le duc assemblait ses administrés musulmans ; « il leur tint un langage sévère et imposant, leur fit sentir leur devoir de soumission pleine et entière en cette occasion plus qu’en toute autre ; leur parla de sa confiance personnelle en homme qui saurait l’apprécier si elle était justifiée, ou la venger si elle était trahie ; et les Tatars de Crimée ne donnèrent que des preuves du plus parfait dévoûment. » Plus tard même, dans la guerre contre Napoléon, on tira de la presqu’île plusieurs régimens d’excellente cavalerie légère.

Les Tatars Nogaïs commençaient à ressentir les conséquences du changement qui s’opérait autour d’eux dans le régime de la terre. Comme les Peaux-Rouges d’Amérique, ils voyaient le progrès de l’agriculture européenne restreindre pour eux les facilités de la vie nomade. Ils étaient la dernière horde errante de l’Europe, les derniers témoins de cette existence à la scythe qui, pendant trente siècles, depuis les temps d’Hérodote, d’Anacharsis et de Darius, fils d’Hystaspe, avait régné sans partage sur l’immensité de la steppe. Leur nombre décroissait et ils tendaient à disparaître. Richelieu résolut de les sauver en les fixant au sol, en les transformant de pasteurs en laboureurs. Il ne voulut employer que les moyens de persuasion. Il leur donna pour inspecteur un Français, Jacques de la Fère, comte de Maisons, les visita dans leurs campemens, leur fit comprendre que l’agriculture leur procurerait des ressources plus assurées, récompensa ceux qui échangeaient leur tente contre une cabane, leur bâtit une mosquée, construisit le petit port d’Iénitchi, afin qu’ils pussent écouler leurs produits, et enfin les dota d’une capitale, la ville neuve de Nogaïsk.

Plus embarrassans peut-être étaient les débris des Zaporogues, devenus les Cosaques de la Mer-Noire ou du Kouban, mais conservant leurs vieux instincts de pillage, leur organisation anarchique, leurs théories sur le célibat, leur horreur du mariage et leur mépris de la famille. Depuis qu’ils ne pouvaient plus, comme des janissaires et des mameluks, se recruter d’aventuriers et de prisonniers de guerre, c’était encore une tribu intéressante qui, faute de se renouveler par des naissances, était en train de disparaître. Les terres n’étaient plus cultivées, les fonds de la colonie étaient gaspillés par les chefs, la défense de la ligne du Kouban contre les Tcherkesses n’était plus assurée ; les Cosaques, dépourvus de toute école, végétaient dans l’ignorance antique et dans la misère ; ils ne savaient opposer à leurs ennemis que des remparts formés de claies de bois, que les Circassiens incendiaient à l’aide de flèches enflammées. Richelieu renforça la colonie par l’incorporation de vingt-cinq mille colons, originaires du Dnieper comme