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le rivage du Caucase. C’était tout un empire, celui-là même sur lequel. Richelieu avait vu régner Potemkim avec la pompe et la nonchalance d’un despote oriental, et qu’il allait désormais gouverner avec la simplicité, l’activité et la probité d’un administrateur européen, élevé dans les doctrines économiques et les idées philanthropiques du XVIIIe siècle français. où son prédécesseur avait maintenu les traditions et les mœurs de l’Asie, il allait faire pénétrer la civilisation de l’Occident. Où celui-là n’avait pu, en un jour de magnificence trompeuse et pour donner un décor au voyage triomphal de Catherine, que faire surgir des cités éphémères et des villages d’opéra comique, celui-ci allait bâtir pour l’éternité.

Odessa avait été fondé en 1793 : c’était, à l’origine, une petite bourgade tatare appelée Kodja-Bey, avec un fortin turc. Les académiciens de Pétersbourg, consultés par Catherine II, donnèrent à cette bourgade le nom d’une antique cité hellénique qu’on supposait avoir existé quelque part dans le voisinage, Odessos. On y envoya des douaniers, des soldats et des fonctionnaires. Mais la colonie végéta obscurément jusqu’à l’avènement d’Alexandre et à l’installation de Richelieu. On y comptait à peine quelques Occidentaux ; les autres habitans, au nombre de quatre ou cinq mille, étaient des Russes, Polonais, Grecs, Arméniens, Juifs, Turcs et Tatars. « Quelques toises de jetée, commencée pour abriter un petit coin de la rade, raconte le négociant Sicard dans sa Notice sur Richelieu, un bureau de douane et de quarantaine, établis et resserrés sur le bord de la mer, sous de petits hangars en bois ou de mauvaises bâtisses, étaient les seuls établissemens pour le commerce. Deux cabanes couvertes en chaume, servant d’églises, et quelques casernes c’étaient tous les établissemens publics. Des huttes couvertes en terre ou en paille pour maisons, éparses çà et là sur l’alignement des rues, où croissait l’herbe, formaient ou indiquaient la ville. » Richelieu, pour palais de gouvernement, se contenta d’un rez-de-chaussée composé de cinq chambres. Il eut d’abord pour unique mobilier des tables et des bancs de bois. Quand il voulut se donner le luxe d’une douzaine de chaises, on dut les faire venir de Kherson. C’est lui qui appela dans Odessa le premier menuisier, le premier serrurier et le premier boulanger qu’on y ait vus.

Si l’on veut savoir ce qu’est devenu Odessa, pendant les onze années de son administration, il faut lire la Notice de Sicard et surtout les trois Rapports que le duc de Richelieu adressait à l’empereur Alexandre en 1810, 1812 et 1813. Les maisons : furent construites à l’européenne sur ira plan général d’alignement. Les rues furent pavées, éclairées, plantées d’arbres. Un vaste môle, des quais magnifiques, des docks immenses entourèrent le port. Odessa fut pourvu d’une cathédrale imposante et de deux églises pour le rite