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la France, comme l’y engageait Talleyrand. La duchesse, sa femme, alla voir la future impératrice Joséphine ; lui-même écrivit à Bonaparte une lettre très digne. Toutes ces démarches restèrent sans résultat. « M. de Richelieu, écrit sa femme, n’hésita jamais sur le parti qu’il devait prendre. La ligne de l’honneur était toujours la sienne ; aucun sacrifice ne lui coûtait pour la suivre. Il abandonna donc, pour la seconde fois, sa famille, ses amis et sa fortune, pour aller en chercher une à la pointe de l’épée. Ce ne fut qu’après son retour en Russie, quand sa faveur auprès d’Alexandre préoccupa les politiques français, que le premier consul, qui avait alors intérêt à ménager le tsar, consentit à céder. Le décret de radiation ne fut donc pas un acte spontané de clémence, mais plutôt le résultat d’une sorte de négociation diplomatique, dans laquelle se sont surtout employés Kalitchef et Talleyrand. L’empereur Alexandre dut même s’adresser directement à Bonaparte. La duchesse est donc en droit d’écrire que Richelieu fut heureux de tenir son « bonheur de cet auguste bienfaiteur et d’être délivré de la reconnaissance envers l’usurpateur. » Rentré en possession de ses biens, il envoya une procuration à sa femme pour gérer ses biens et désintéresser les créanciers. « S’il ne me reste rien, lui mandait-il, eh bien ! je pourrai marcher la tête haute, et ce que j’aurai, je ne le devrai qu’à moi. »


II

C’est ici que se terminent les années de jeunesse de Richelieu et que commence son grand rôle historique. Quand il reparut à Pétersbourg, en septembre 1802, Alexandre lui fit un accueil non-seulement bienveillant, mais affectueux. « L’empereur m’a reçu encore mieux que je ne m’y serais attendu, écrit-il ; il m’a permis de le voir souvent et familièrement, ce dont je profite avec plaisir, non parce qu’il est l’empereur, mais parce que c’est un homme aimable et attachant comme j’en ai peu connu. » Il faut insister sur le caractère intime et cordial de l’amitié qui unissait ces deux hommes : il donne la clé des faits qui suivront ; il explique comment il fut possible à Richelieu de se rendre si utile d’abord à la Nouvelle-Russie, puis à la France elle-même.

Alexandre lui avait fait don d’une terre dont le revenu, 12,000 et bientôt 24,000 livres, s’il ne compensait pas les pertes qu’il avait faites en France, assurait du moins son existence. En 1803, l’empereur le nomma gouverneur d’Odessa. En 1805, il le nomma gouverneur-général de la Nouvelle-Russie, c’est-à-dire de la région qui s’étendait du Dniester au Caucase ; elle comprenait les pays d’Odessa, Kharkof, Kherson, Ekatérinoslav, la Crimée, le Kouban,