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LA QUESTION HOMÉRIQUE.

avec des péripéties variées, sont indiqués en quelques vers. On sent que le poète compte sur la mémoire de ses auditeurs pour animer et pour développer cette sorte de sommaire, pour susciter dans l’imagination, au premier appel, la vue rapide et claire des incidens sur lesquels il ramène leur attention et des différens acteurs qui s’y trouvent mêlés.

C’est ainsi que, derrière la scène où se joue le drame de l’Iliade, apparaît, comme dans le lointain d’une toile de fond, toute la luxuriante végétation de l’épopée naissante, cette silva carminum, comme dit Wolf, cette forêt de poèmes qui, par les beaux jours et sous la tiède chaleur d’un printemps que le monde ne reverra plus, jaillit si drue et si vigoureuse d’un sol où pullulaient les germes, des profondeurs fécondes de l’âme grecque. Ces poèmes que nous apercevons ainsi aux limites de notre horizon, dont nous pouvons affirmer l’existence, mais que nous ne lirons jamais, comment et par quels traits s’en distingue l’Iliade ? Pourquoi a-t-elle vécu, tandis que ses sœurs aînées sont mortes presque avec la génération qui les avait vues naître et qui les avait saluées de ses applaudissemens ? Quelle idée convient-il de se faire du rôle et de l’œuvre de celui que l’antiquité a nommé Homère ? Peut-être serons-nous mieux en mesure de répondre à ces questions maintenant que, sans apporter ici tout l’appareil de preuves que demanderait une démonstration complète, nous avons indiqué tout au moins, par quelques brèves remarques et par quelques exemples choisis, comment la critique peut s’appliquer avec succès à chercher dans Homère ce que nous appellerons les élémens préhomériques. Cette méthode, si nous ne nous faisons illusion, conduit à des résultats qui, aujourd’hui même, après tant de théories et de redites, ont encore le mérite d’une certaine nouveauté.


III

On a vu combien sont singuliers les caractères qui distinguent la langue de l’Iliade, et comme on a mal réussi à les expliquer. Au contraire, le mélange, en proportions inégales, des deux dialectes et la multiplicité des formes équivalentes, tout cela devient facile à comprendre si l’on se place à un autre point de vue, si l’on fait une très large part à l’action personnelle et à la libre volonté de l’auteur de l’Iliade. Des aèdes qui l’avaient précédé, les uns, les plus anciens peut-être, avaient employé l’éolien, et les autres, l’ionien, lequel comportait d’ailleurs presque autant de variétés qu’il y avait de villes dans la confédération ionienne ; quelques-uns même avaient sans doute déjà donné l’exemple d’allier les uns aux autres, dans un même chant, des élémens empruntés aux deux dialectes. Ioniens et