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tions que, par politesse, on qualifie souvent d’ingénieuses. On a émis l’idée que les chants qui constituent l’Iliade ont été composés d’abord en grec éolien ; puis, plus tard, d’autres aèdes les auraient portés dans les villes ioniennes, et, pour en rendre l’intelligence plus facile à ce nouvel auditoire, il les auraient mis en langue ionienne, sans réussir pourtant à faire disparaître tout vestige de l’éolisme primitif ; les formes éoliennes subsistantes seraient celles qui, en raison de difficultés métriques, auraient résisté à cette transposition. « Le texte de l’Iliade, répond M. Croiset, ne se prête pas à cette conjecture ; car d’abord il renferme bien des formes éoliennes qui auraient pu, sans inconvénient pour la mesure, être transposées en ionien, et, en second lieu, si elle était exacte, il devrait y avoir des différences notables, au point de vue du nombre des formes éoliennes, entre les parties anciennes ainsi traduites et les plus récentes qui ne l’auraient pas été ; or, en fait, cette inégalité n’existe pas. »

Cette hypothèse ne soutient donc pas l’examen ; d’ailleurs, elle ne rend pas compte d’un autre des caractères qui sont propres à la langue homérique ; elle n’explique pas l’existence simultanée, dans un idiome, de ces formes synonymes qui, sans avoir une origine dialectale différente, se remplaçaient l’une l’autre, au gré du poète ; suivant les exigences de la mesure, il emploie tantôt l’une, tantôt l’autre de ces désinences. C’est toujours le même phénomène : par une suite d’opérations où interviennent nécessairement la réflexion et le choix, le poète épique s’est assuré la possession et le libre usage de ressources dont ne dispose nulle part la langue populaire ; celle-ci a la simplicité, la détermination rigoureuse de toutes les œuvres que crée l’instinct.

Comme l’idiome qu’elle emploie, le mètre dont se sert l’épopée suppose, lui aussi, un long développement antérieur. Les philologues ont émis différentes conjectures sur les origines de l’hexamètre ; quelle que soit celle que l’on préfère, on admettra que les Grecs n’ont pas dû trouver du premier coup un type rythmique aussi beau, aussi merveilleusement approprié à sa destination. Il a pu y avoir, pendant un certain temps, hésitation entre plusieurs rythmes différens, entre les rythmes anapestiques, par exemple, qui sont ceux de la marche ou de la danse, et les rythmes dactyliques, qui parurent moins sautillans et plus graves, mieux faits pour le cours soutenu du récit épique. Alors même que ceux-ci eurent prévalu, ce fut, comme le soupçonne Aristote, par une série de tentatives et de retouches que l’on en vint à donner au vers sa forme définitive[1]. On avait peut-être commencé par le composer

  1. Aristote, Poétique, § 24 : Τὸ δὲ μέτρον τὸ ἡρωιϰόν ἀπὸ τῆς πείρας ἠρμοϰεν (sous-entendu τῇ ἐποποιίᾳ.