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pour l’Odyssée et pour les Hymnes. Au bas des pages, point de notes, ni critiques ni explicatives ; l’éditeur suppose que l’on soit, comme lui, assez de grec pour ne pas être embarrassé par les difficultés qui arrêteraient les écoliers ; tout ce qu’il semble avoir mis là du sien, ce sont quelques notules, comme il les appelle, qui sont reléguées à la fin des volumes. Il les donne, comme il le confesse non sans une pointe d’ironie, telles qu’elles lui venaient à l’esprit, pendant qu’il corrigeait les épreuves. Rien de plus inégal et de plus capricieux que cette annotation ; il est tel chant de l’Iliade qui ne lui suggérera que deux ou trois observations, tandis que, pour tel autre, les remarques se presseront bien plus nombreuses sous sa plume. Ici, ce sera quelque correction ingénieuse qu’il propose d’un air souriant et détaché ; là, quelque leçon généralement admise qu’il discute brièvement, ou quelque conjecture d’un de ses devanciers qu’il écarte d’un mot malicieux. Le plus souvent, ce sont des rapprochemens inattendus que lui fournit sa vaste lecture, ou bien des citations d’auteurs inédits qu’il était seul à avoir lus dans les manuscrits de la Bibliothèque royale ; lui qui pèche d’ordinaire plutôt par excès de sobriété, il abuse un peu de Planude. Dans cet érudit qui ne s’est jamais attaqué au texte d’aucun grand écrivain classique, qui n’a pas formé d’élèves et qui n’a exercé aucune influence sur les philologues ses contemporains, il y a toujours eu, malgré la précision de sa science, quelque chose de l’amateur et, qu’on nous passe l’expression, du dillettante.

Ces notules, qui sont servies à part, comme ces plats que se réservent les gourmets, on peut, à volonté, s’en donner le régal ou n’en tenir aucun compte ; elles ne gênent pas le lecteur qui veut se mettre seul en face du texte grec et en recevoir l’impression directe. C’était ce que je voulais tenter ; dans mes courses solitaires par les sentiers de la falaise ou « sur le rivage de la mer retentissante, » je ne pouvais donc avoir meilleurs compagnons que ces volumes discrets, d’où ne sortirait aucune voix qui prévint mon jugement, qui risquât de troubler mon tête-à-tête avec Homère. Chaque matin et chaque après-midi, j’en prenais un avec moi et, pour l’ouvrir, j’allais me cacher loin des importuns, tantôt dans quelque verger dont j’avais appris à franchir la haie, tantôt dans une petite anse où des rochers tout noirs de coquillages me dérobaient à la vue. Une fois établi dans ma retraite, je m’empressais de reprendre ma lecture là où je l’avais laissée la veille. Suivant les jours, elle avançait plus ou moins vite. Je ne manquais jamais de marquer au passage, pour en chercher le sens quand je serais de retour à la maison, les mots qui m’étaient inconnus ; un coup de crayon suffisait à me les rappeler, et il y avait telle séance où, entraîné par le charme du récit, j’allais d’un trait jusqu’au bout de