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d’un allié justement froissé de son abandon, et de panser la blessure au lieu de l’envenimer. Même dans ce premier moment, l’extrême irritation du roi de Prusse n’a pas d’explication naturelle ; mais ce qu’on peut encore moins comprendre, c’est qu’il ait conservé de la lettre malencontreuse de Louis XV un tel ressentiment que, trente ans encore après, mettant la dernière main au texte définitif de ses Mémoires, il ait consacré un long développement à réfuter un document tombé dans l’oubli. Il est encore plus singulier de lui en voir travestir les termes et les pensées de manière à prêter à un souverain, dont un excès d’orgueil ne fut jamais le défaut, une outrecuidance burlesque digne d’un matamore de comédie. Bien de plus étrange assurément, et de moins digne de la royauté comme de l’histoire, qu’une controverse posthume de cette nature. En y regardant de près, cependant, le lecteur de l’Histoire de mon temps croit apercevoir quel est le sentiment qui domine dans cette tirade si étrangement passionnée. Ce qui est le plus amèrement reproché au roi de France, c’est l’allusion qu’il avait osé faire au succès de son armée dans les Pays-Bas. C’est le souvenir de Fontenoy, qui, même après un demi-siècle écoulé, semble importuner encore le vainqueur de Friedberg et de Sohr : — « J’ai fait de grandes choses, se fait-il dire par Louis XV dans le langage ridiculement hautain qu’il met dans sa bouche. On a aussi parlé de vous, » — Voilà le trait qui est gravé dans le cœur. Louis XV s’était comparé un jour à Frédéric : cette présomption, bien que rudement châtiée depuis lors, ne lui fut jamais pardonnée ; il y a des rivalités d’auteur, même sur le trône, et la grandeur du génie ne préserve pas des petitesses de la vanité.

Si ce jugement n’est pas téméraire, il dut se trouver, parmi les hommages que Frédéric reçut de toutes parts, dans ce moment si brillant de son existence, un en particulier qui, plus que tout autre, lui fut sensible, car il partait du vainqueur de Fontenoy lui-même. Au récit de la brillante expédition dont la Saxe venait d’être le théâtre, Maurice éprouva, en qualité de connaisseur et à un point de vue pour ainsi dire esthétique, une telle admiration que, malgré le chagrin que, comme enfant de la Saxe, il devait éprouver de l’humiliation de son ancienne patrie, — malgré la contrariété que la paix qui en était la suite devait causer au commandant d’une armée française, — il ne put se défendre de donner cours à ses sentimens et d’en envoyer directement l’expression au héros lui-même : — « Sire, lui écrivit-il, l’expédition que Votre Majesté vient de terminer si rapidement est si brillante que, comme militaire, je lui en dois mon compliment. Je n’ai pas pu m’empêcher, comme Saxon, de compatir aux maux qu’a éprouvés la Saxe ; mais mon admiration