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espagnole, mais se plaignait hautement, dans toutes ses dépêches, du joug que faisaient peser sur la France les obligations contractées envers le couple royal qui trônait à Madrid. N’allait-on pas le voir quelques jours après lui-même (j’aurai peut-être à le raconter) offrir au roi de Sardaigne des conditions de paix qui devaient exciter, non-seulement le déplaisir, mais le courroux, presque la fureur d’Elisabeth Farnèse ? Ce n’était donc pas l’Espagne, mais bien la Prusse, qui tenait au cœur du ministre français. Si ses instructions commandaient de briser, sur un si faible prétexte, un simulacre de négociation qu’il n’avait jamais voulu prendre au sérieux, ce n’était pas même pour ménager les espérances chimériques d’un petit-fils de Louis XIV et du gendre de Louis XV ; mais c’était le conquérant de la Silésie qu’il ne voulait pas laisser troubler dans la jouissance de sa possession. Comment alors ne pas s’affliger en pensant que l’occasion manquée ne devait pas se retrouver, et que, trois ans plus tard, après une nouvelle série de luttes et de triomphes, la France, lassée de vaincre, devait accepter, presque avec reconnaissance, une paix qui, restituant l’intégrité des Pays-Bas à l’héritière de Charles-Quint, n’accrut pas d’une ligne le sol français ?

Vaulgrenant sortait cependant la conscience tranquille, presque soulagée, de la conférence, car, en rendant compte du résultat, il se montrait bien plus satisfait de n’avoir rien compromis que contrarié de n’avoir rien obtenu : — « Je me suis tenu ferme, disait-il, sur mes propositions ; j’ai parlé avec simplicité, sans marquer ni trop de désir ni trop d’éloignement, et par la façon dont je me suis expliqué, je crois n’avoir rien dit ni de trop ni de trop peu. » — Tout autre était le langage du comte d’Harrach, véritable cri d’impatience et de désespoir : — « Vous verrez, écrivait-il, par ma relation ci-jointe, que je n’ai pu faire que de l’eau claire avec Vaulgrenant. avec lequel j’aurais mieux aimé finir en lui accordant tout ce qu’il a demandé que de signer la paix de Breslau, auquel cas j’aurais proposé pour fonds toutes les argenteries des églises, la vaisselle et diamans de la noblesse, qui les aurait donnés volontiers contre le roi de Prusse. Je voudrais m’arracher les yeux de me voir à la veille d’être celui qui devra forger moi-même les chaînes et l’esclavage perpétuel de notre auguste impératrice et de toute sa postérité. »

Puis, profitant de ce que sa présence à Dresde n’était pas connue pour ne prendre encore aucun parti décisif, il se retirait à Pirna, dans le camp du prince de Lorraine : et de là, entouré d’une armée qui frémissait en se voyant contrainte de céder sans avoir même combattu, et d’accord avec le général qui sentait, bien que trop tard, toute l’humiliation de son attitude, il envoyait à Vienne