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l’ancienne orthodoxie religieuse. Des horizons nouveaux s’étaient ouverts devant l’imagination du penseur, comme des mers nouvelles devant le navire du marchand. Eschyle, Sophocle, Hérodote, Thucydide, Aristophane, avaient rencontré, dans les voies où ils s’étaient élancés, les plus belles conceptions du génie ; Phidias avait vu Jupiter ; Anaxagore avait presque trouvé Dieu. Ainsi, le vieil Homère et tous les poètes qui l’avaient précédé ou qu’il inspira avaient paru, après que la race grecque se fut, comme une alluvion féconde, répandue sur les côtes de l’Asie et mêlée, par le commerce et par les armes, au monde oriental.

Le sentiment religieux s’était épuré, au moins pour quelques-uns. La conception de la divinité était plus élevée, et la grande question de l’autre vie, tout en restant fort obscure, tendait vers une solution moins grossière que celle qui en avait été donnée par Homère et Hésiode. La récompense des bons χρηστοί (chrêstoi) se rapprochait de celle qui leur est aujourd’hui promise. « Les âmes des hommes pieux, disent Épicharme, Pindare et Eschyle, habitent au ciel et célèbrent par des hymnes la grande divinité. » L’âme des bienheureux μάϰαρες (makares), placée au milieu des astres, participait à la béatitude divine, et jouissait de la vue perpétuelle de la lumière pure, comme celle des élus de Dante.

Mais au-dessous des nobles préoccupations de ces grands esprits, que d’agitations stériles ! Combien qui, ne pouvant créer, détruisaient ; qui niaient le passé sans rien affirmer pour l’avenir ; qui tournaient en dérision les lois, les mœurs, les croyances du vieux temps, sans rien mettre à leur place. Les dévots entendaient avec effroi des hommes se rire de tout ce qui faisait encore leur vie morale et religieuse, douter de leurs dieux, parodier les mystères. Beaucoup même, voyant que les prières, les sacrifices n’avaient point sauvé Athènes des plus affreuses calamités, en vinrent à penser que les croyances transmises par les aïeux pourraient bien n’être que des mensonges ; déjà on volait les dieux, non pas l’argent déposé dans leurs sanctuaires, comme les Phocidiens le prendront à Delphes, mais, ce qui était un double sacrilège, les ornemens d’or qui recouvraient leurs statues[1]. L’hellénisme était arrivé à ce carrefour

  1. Ainsi, au témoignage d’Isocrate (Contre Callimaque) furent volés au Parthénon le Gorgoneion et plusieurs bas-reliefs du casque, du bouclier et de la chaussure de Minerve. Démosthène, Contre Timocratès, 121, rappelle le vol des ailes d’or de la Victoire, et Pausanias, I, XXV, 7, et XIIX, 16, parle du grand vol de Lacharès, qui, au temps de Démétrius, fils d’Antigone, prit les boucliers d’or de l’architrave et tout l’or qui pouvait encore être enleva de la statue de Minerve. On sait ce qui est raconté, à tort ou à raison, de Denys l’ancien, pillant le temple de Proserpine et volant à Esculape sa barbe d’or, à Jupiter son manteau d’or, trop chaud pour l’été, trop froid pour l’hiver. »