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et tout marche ainsi ! Autre spécimen de cette anarchie du jour. On ne peut se dissimuler que depuis l’origine de cette triste affaire il y a un conflit ouvert entre la préfecture de police, qui procède avec une certaine désinvolture, qui ne met pas toujours une parfaite correction dans ses saisies de papiers, qui garde des dossiers pendant un mois, — et la magistrature qui se plaint. Entre la préfecture et le parquet on se querelle, et nous assistons à cet étrange spectacle d’un échange de notes rectificatives, doucereusement acrimonieuses, auxquelles viennent se joindre au besoin les notes ministérielles qui n’éclaircissent rien.

Ainsi la préfecture de police est en guerre avec la justice, la magistrature se plaint de la préfecture de police, la chambre se met de la partie pour tout compliquer, pour tout embrouiller, le ministère se sent impuissant : bref le gâchis est complet, et si tous ces faits qui émeuvent l’opinion depuis quelque temps ont pris une importance qu’ils ne devaient pas avoir, c’est la faute de cette anarchie qui est partout aujourd’hui, qui à la vérité se prépare depuis des années. C’est la suite de tout un passé, de toute une politique. En définitive, la chambre, avec ses manies d’usurpation, ne fait en ce moment que ce qu’elle a toujours fait, ce que la commission du budget fait encore à l’heure qu’il est, et si elle a contribué à ce vaste désordre, c’est qu’il ne s’est pas trouvé un ministère pour la diriger, pour lui résister au besoin, pour lui faire sentir la nécessité d’un vrai gouvernement. Si l’administration est incohérente, si la magistrature elle-même semble affaiblie et incertaine, c’est que depuis longtemps on travaille à tout désorganiser. On parle toujours de faveurs illicites, de décorations, et il n’est point douteux que, s’il y a des abus ou des délits, on doit les réprimer ; mais est-ce que, depuis longtemps, il n’est pas entendu, dans le parti républicain, que décorations et faveurs sont une monnaie électorale, que tout est permis dans l’intérêt républicain ? Est-ce que ce n’est pas là aussi un coupable abus, une véritable fraude ? On va ainsi pendant des années, et puis on s’étonne de voir l’anarchie éclater ! On recueille ce qu’on a semé, et, au lieu de chercher toute sorte de remèdes empiriques, on ferait beaucoup mieux de reconnaître tout simplement que le seul moyen de se relever est de revenir à une politique faite pour rendre l’autorité et la force au gouvernement, la confiance au pays. C’est pour le moment la seule moralité à tirer de toutes ces misères au milieu desquelles on se débat.

Aujourd’hui comme hier, en dépit de toutes les déclarations et de toutes les assurances d’un optimisme calculé, il y a plus d’équivoques et de mauvaises apparences que de signes favorables dans les affaires de notre vieux monde. Plus que jamais peut-être l’état, de l’Europe reste incertain et obscur ; il dépend de tant de circonstances diverses, de tant d’événemens prévus ou imprévus, qu’on ne pourrait dire, sans présomption, où l’on en sera demain. Cette situation européenne, qui