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Cette étrange affaire, il faut l’avouer, elle a commencé assez gauchement, et d’une façon assez mesquine ; elle a été plus que médiocrement conduite par des hommes qui ne savaient visiblement ni ce qu’ils faisaient ni où ils allaient. De quoi s’agissait-il au début ? On a découvert, par le hasard d’une délation obscure, les opérations louches de deux ou trois intrigantes d’un ordre subalterne, faisant métier de mettre une influence équivoque et un crédit douteux au service de quelques imbéciles à la recherche de décorations ou d’emplois. C’est là le point de départ. On a malheureusement aussi surpris dans ces manèges suspects les noms de deux généraux, — l’un sous-chef d’état-major au ministère de la guerre, l’autre sénateur, — victimes des entraînemens d’une vie besogneuse. C’était évidemment une complication pénible : elle aurait pu cependant encore être dominée par une autorité un peu ferme intervenant à propos, lorsqu’une indiscrétion a livré l’incident aux journaux, qui se sont hâtés naturellement de l’aggraver en lui donnant une portée démesurée et un retentissement redoutable. Il est clair qu’après avoir procédé avec une certaine légèreté dans l’instruction secrète de police suivie jusque-là, on a dès ce moment perdu un peu la tête. On a été quelque peu étourdi, et par le bruit de toutes les polémiques accusatrices des journaux, et par la découverte de la correspondance de divers personnages publics, même de quelques autres généraux compromis, et surtout par l’apparition du nom du gendre de M. le président de la république, de M. Wilson, dans ces intrigués vulgaires. Ministres, préfecture de police, parquet, se sont embrouillés, et l’action judiciaire s’en est visiblement ressentie. La chambre, réunie sur ces entrefaites, s’est hâtée de mettre dans cette venimeuse affaire un peu plus de confusion encore, en prétendant ouvrir, à côté de l’action judiciaire déjà engagée, une enquête parlementaire qui est devenue un instant une complication politique par un conflit de tous les pouvoirs.

Ce n’était rien encore, Ce n’était du moins qu’un désordre de plus dans un désordre moral déjà assez sensible. Ce qui a tout aggravé et tout précipité, c’est que le jour où le procès correctionnel s’est ouvert devant le 10e chambre, on s’est trouvé en présence d’un Vrai coup de théâtre de prétoire, d’un fait inexplicable et inexpliqué jusqu’ici. Par un hasard étrange, il est apparu brusquement, avec une évidence presque inexorable, que le dossier des accusés les plus subalternes n’avait pas été respecté, que des lettres de M. Wilson a\aient été retirées, remplacées, refaites après coup. A quel moment de l’instruction et comment ces soustractions, Ces substitutions ont-elles pu s’accomplir ? Qui a pu se prêter à fausser, par de tels subterfuges, l’action de la justice ? Quels sont les coupables et les complices ? Où sont-ils ? On ne le sait pas encore, on ne le saura peut-être même pas. Toujours est-il que ce seul fait a suffi pour laisser entrevoir toute une partie