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« Il ne vit plus qu’une chose : le devoir, qui était de ne pas abandonner sa mère figée et souffrante. Dans ce devoir simplement accepté et simplement accompli, il trouva le bonheur… » — Ah ! ah ! se disent les mauvais sujets, qui attendent un sermon : Berquin va commencer… — Eh bien ! non, Berquin ne commence pas ; en deux mots, M. Ludovic Halévy a fini : « D’ailleurs, au bout du compte, ce n’est guère que dans le devoir que se trouve le bonheur. » Et c’est tout ! N’est-ce pas irréprochable ? Cette maxime pourrait servir d’épigraphe au volume ; je la retrouve dans Montaigne. « Quand, pour sa droiture, je ne suivrais le droit chemin, je le suivrais pour avoir trouvé, par expérience, qu’au bout du compte, c’est communément le plus heureux… » Montaigne ajoute même, — comme s’il avait marié souvent des officiers pauvres à des jeunes filles riches : — «… et plus utile. » Et Montaigne, que je sache, n’est pas un précurseur de Berquin.

La grâce de ce roman, celle d’une morale modérée offerte en un style modéré, cette grâce toute française, — et dont un si parfait exemplaire est peut-être unique, — MM. Hector Crémieux et Pierre Decourcelle ont eu l’art de la faire sentir sur la scène. Et d’abord, pour former ce premier acte, ils ont transféré avec soin tous ces jolis détails qui remplissent à peu près les deux tiers du livre ; ils les ont rassemblés dans ce décor, le plus propre au sujet et le plus agréable qu’eût proposé l’écrivain : le jardin du presbytère. Ils leur ont gardé ou donné l’animation nécessaire au théâtre ; ils l’ont perpétuée si bien qu’on ne croirait pas voir des morceaux choisis d’un roman, mais la vive exposition d’une pièce neuve. — C’est aujourd’hui que se vend le domaine de Longueval : des voisins, désireux d’acquérir telle ou telle partie, attendent les nouvelles ou les apportent. Le chœur se félicite, lorsqu’arrive à grand pas, essoufflé, poudreux, gémissant, un dernier messager, l’abbé en personne : tout le domaine, réuni à la fin de la vente, appartient désormais à une étrangère ! Mme Scott et sa sœur vont régner sur la contrée : deux Américain es, deux hérétiques ! « Deux charmantes hérétiques, en tout cas, » murmure Paul de Lavardens, ce petit Parisien qui, sans les connaître, est allé au bal chez elles ; mais ce n’est une consolation ni pour sa mère, ni surtout pour le curé. Celui-ci reste seul avec son filleul, le lieutenant d’artillerie Jean Reynaud, et sa servante Pauline. Surviennent les deux sœurs : elles sont charmantes, en effet, mais hérétiques, point du tout. « Catholiques, Pauline ! elles sont catholiques ! » Elles occuperont, à l’église, le banc du château, quand le curé dira la grand’messe ; elles passeront, une fois la semaine, au moins, devant la tombe du père de Jean : à la bonne heure ! En attendant, elles s’invitent, sans cérémonie, à partager la soupe et le gigot apprêtés par Pauline. Et, à la fin du dîner, M. le curé, à qui son neveu a oublié de pincer le bras, ayant en la faiblesse de