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d’entre nous : il ne parle pas, il ne gesticule pas en comédien. Même ces apprenties actrices, Mlle Deneuilly, Sylviac, ont gagné un peu de son naturel. Et voilà aussi pourquoi nos yeux sont mouillés. — Après leurs visites à l’hôpital, MM. de Goncourt, naguère, « s’arrachaient » de leur mélancolie « par quelque distraction violente. » Pour nous remettre d’aplomb, après Sœur Philomène, il ne faut pas moins que ce rare divertissement : l’Évasion, de M. Villiers de l’Isle-Adam, quelque chose comme un monologue où s’exaspère jusqu’à la charge une fantaisie d’artiste, où s’exalte jusqu’au grandiose une fantaisie de poète. Un acteur, M. Mévisto, a reproduit curieusement cette silhouette de forçat, — un croquis d’Henri Monnier en marge des Misérables de Victor Hugo.

Ah ! ce n’est pas le moment de mépriser les gens de bonne volonté qui cherchent pour l’art dramatique des sentiers nouveaux : le pavé des vieilles routes est usé, glissant ; depuis le commencement de la saison, quelles déplorables chutes ! Au Gymnase, une comédie gaie, ou qui devait l’être ; au Vaudeville, une comédie annoncée comme pathétique ; l’une d’un auteur consommé, l’autre d’un dramaturge novice, mais justement loué pour ses romans ; toutes les deux gisent déjà sur la voie de l’oubli, et pour quelle faute ? Il est certain que M. Gondinet, empêché par la maladie, n’a pu « mettre au point » son ouvrage ; il est probable, au moins, que M. de Glouvet, par inexpérience, a péché dans tel ou tel détail de l’exécution. Mais le crime essentiel des deux pièces, le crime qui les a condamnées, c’est qu’elles remettaient sous les yeux du public un spectacle qu’il pensait avoir vu trop souvent. C’est pourquoi Dégommé, c’est pourquoi le Père, n’ont pas vécu. A l’Odéon, la Perdrix, lancée par des jeunes gens, avait plus de gaucherie que de hardiesse ; le Marquis Papillon, — inspiré pourtant d’une belle humeur d’adolescent, — ne butinait que les fleurs artificielles du vieux vaudeville : prose ou vers, après quelques jours se sont évanouis dans le vide. Les alexandrins de Maître Andréa, où sonnait le savoir-faire de M. Blau, avaient le tort de conter une histoire connue. Jacques Damour, tiré par M. Léon Hennique d’une nouvelle de M. Zola, n’était qu’une ébauche. Depuis la réouverture des théâtres, une seule pièce nouvelle a réussi glorieusement : l’Abbé Constantin.

Est-ce donc que l’Abbé Constantin est révolutionnaire ? Il l’est peut-être à sa façon. Le roman de M. Ludovic Halévy, en littérature, il y a de cela bientôt six ans[1], fit l’effet d’un 9 thermidor, — sans guillotine. En même temps qu’un assez joli coup de maître, c’était un petit coup d’état : les honnêtes gens respirèrent. Après l’orgie naturaliste et ses cruautés, après tant de récits authentiques ou de fables dont les

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 janvier et du 1er février 1882.