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assez fine aussi pour que la grossièreté de certaines gens, si d’aventure ils avaient pénétré dans la salle, n’aperçût guère une occasion d’éclater ; — assez pourvue d’intérêt pour tenir en haleine, au moins une heure durant, ce public d’élite ; — assez noble enfin pour que l’émotion qu’elle procurait ne fût nullement déplaisante : l’art purifie tout !

Au milieu de la salle de garde, auprès de l’interne accoudé à sa table, voici bien sœur Philomène, debout dans la blancheur de son voile et de sa jupe, semblable à « une lumière. » Et voici bien leur amitié : une camaraderie pure, bienfaisante au prochain, et, dans les quarts d’heure de loisir, gentiment secourable à l’un et à l’autre. Barnier amuse la religieuse en lui rapportant les bruits du dehors ; et à la manière dont elle les écoute, à quelques-unes de ses réponses, à la façon mélancolique dont elle parle de la famille, des enfans, de ces biens qui lui sont défendus et qui seront permis au jeune homme, à un demi-mot, ou plutôt à un demi-ton de sa voix, on devine un regret qu’elle ne s’avoue pas et un désir qu’elle ignore. À ce médecin peu croyant, comme à un malade, elle rappelle avec douceur, avec enjouement, l’idée de son Dieu ; elle ne soupçonne pas qu’elle soit jamais tentée de se perdre avec lui, mais elle voudrait le sauver avec elle. Pour commencer, n’en fait-elle pas le complice de ses menues charités, de ses bonnes œuvres de luxe ? Elle l’envoie chez ses pauvres, elle le paie en prières. J’aurais voulu qu’on nous montrât cet orphelin presque adopté en commun, au fit de mort de sa mère, par la religieuse et par l’interne, cette petite tête sur laquelle s’est faite l’union mystique de leurs tendresses. Au deuxième acte, alors qu’il assistera la souffrance et l’agonie de Romaine, Barnier, par quelque parole ou quelque geste un peu rude à l’adresse de l’enfant, aurait fait jaillir du cœur de Philomène la jalousie et l’amour. N’importe : au fond de ce cœur transparent, et sans que la bouche le trahisse, nous voyons naître le drame. Nous le sentons qui se poursuit, à présent, derrière la dispute de Barnier et de ses camarades. Après que la sœur s’est retirée, autour du déjeuner servi, une conversation d’étudians a commencé : devis naturels de carabins, où ne se décèle pas l’inspiration d’un auteur, le ferme propos d’abuser de l’horrible. Toute naturelle aussi, l’aisance de la sortie et de la rentrée de Barnier qui se lève de table, appelé par un infirmier, pour délivrer une accouchée, revient, se lave les doigts à la fontaine, et reprend le repas et l’entretien. Un des convives, diseur de méchans riens et de banales calomnies, déblatère contre les religieuses ; Barnier lui répond avec une familière éloquence ; il improvise, en le ponctuant d’un juron qui est la garantie de sa sincérité, un magnifique éloge de ces saintes filles. Et quand son adversaire prétend douter de son désintéressement et livre