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n’est pas autre chose. Et tout ce qui précède la rencontre de sœur Philomène et de Barnier, tout cela n’est qu’un prologue, et du genre le moins dramatique, — la monographie de la sensibilité d’une fille du peuple destinée à entrer en religion : comment la nature et l’éducation y conspirent ; comment la tendresse de l’enfant, de la jeune fille, est excitée, puis déçue ; comment son caractère est façonné pour un monde supérieur, qui lui est brusquement fermé. Aimante et déclassée, on voit comme elle sort de son emploi naturel et de sa caste, et ne trouve d’autre issue que la porte d’un couvent : à merveille ! Mais, de ce premier tiers du livre, il n’est rien qui se puisse exposer sur un théâtre ; et le dernier, à cette lumière, semblerait languissamment rattaché au reste. Il faut donc en revenir là : trois personnages déterminent le cercle de l’action, la religieuse, l’interne, la fille. Et celui des trois en qui est le foyer de vie, celui-là ne s’ouvre pas et ce saurait s’ouvrir aux deux autres ; et aucun de ceux-ci ne doit pénétrer son secret… Dans ce roman, y a-t-il un drame ?

Enfin ce drame, ou ce prétendu drame, — voici la troisième question, — ne serait-il pas horrible, ou plutôt lugubre, ou pis encore, nauséabond ? a C’est affreux, cette odeur d’hôpital qui vous poursuit. Je ne sais si c’est réel ou une imagination des sens, mais sans cesse il nous faut nous laver les mains. » Cette impression des auteurs, notée alors qu’ils préparaient le roman, le public, à son tour, n’allait-il pas l’éprouver ? Cette écœurante puanteur n’allait-elle pas souffler de la scène dans la salle ? Voilà toutes mes craintes.

Vive la peur, ma foi ! Elle aiguise le plaisir qu’on ressent, après l’alerte, à se retrouver sain et sauf avec ce qu’on aime : Sœur Philomène a triomphé. MM. Jules Vidal et Arthur Byl ont fait preuve de modestie et de modération : ils n’ont rien mis au théâtre qui ne fût dans le roman ; ils n’ont pas pris, cependant, tout ce que le roman contenait. Garder ainsi le cœur d’un ouvrage, le traiter avec tant de prudence et de dextérité, ce n’est pas un petit mérite. Ces jeunes gens ont rapproché, ils ont lié des parties de dialogue empruntées au livre, et la disposition de ces fragmens est si heureuse que la mosaïque reproduit le tableau. Les nuances principales, qui n’étaient pas les moins délicates, sont ici conservées. Bien plus ! un tel courant de vie morale, un tel flot de sentimens circule et se laisse deviner d’un bout à l’autre de la pièce que la vertu dramatique du sujet se révèle à ceux qui doutaient d’elle, et peut-être à M. de Goncourt : il ne savait pas qu’il eût fait ce drame ! .. Le mot, à la réflexion, paraît-il ambitieux pour ces deux petits actes ? Dans la fin du premier, on peut signaler une façon trop brusque ; çà et là, au cours du second, dénoncer quelques trous. Disons au moins que c’est une esquisse dramatique, assez One pour satisfaire des yeux subtils ; —