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cette voix et dans ce cœur. Il y a la chaleur, la flamme, toutes les qualités sympathiques et communicatives. Avec M. de Reszké, les rôles les plus connus semblent encore nouveaux. Il a révélé au public les beautés du premier acte, entre autres le superbe récitatif de la malédiction. Il a dit la cavatine avec une minutieuse perfection ; on a aussi bien chanté, jamais mieux. Depuis les débuts des deux frères, le public a pris son temps pour comprendre quels artistes il avait devant lui ; mais il a compris enfin, et cette fois le voilà conquis.

Gardons-nous d’oublier l’orchestre. Il a joué comme ne jouerait aucun orchestre au monde. Voilà ce que font ces messieurs quand ils veulent et quand on veut. M. Vianesi, depuis trois mois, a ranimé cet orchestre, qui s’en allait mourant. Le nouveau chef bat la mesure, que son prédécesseur caressait d’une main sénile. Il dirige avec une netteté sans raideur, avec une élégance sans mauvais goût. Son unique défaut, qu’il y veille, est la tendance à prendre les mouvemens trop vite, à les presser et à les rétrécir. On s’en est aperçu surtout dans Faust, que M. Vianesi a conduit quelques jours après Gounod ; les mouvemens du maître n’étaient déjà plus observés. Mais le répertoire en général est bien mené par M. Vianesi. Des nuances disparues se retrouvent, les instrumens chantent ; les pizzicati se détachent, précis et légers ; le soin et la conscience semblent revenir.

Aussi bien, malgré ses faiblesses, ne nous plaignons pas trop de notre Opéra. Quand on vient d’entendre à Madrid le Prophète, ou ce qu’ils appellent ainsi là-bas, on est édifié sur les théâtres de musique étrangers. Les nôtres pourraient prendre pour devise le mot de Mirabeau : « Humble quand je me considère, fier quand je me compare. »


CAMILLE BELLAIGUE.