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éveille, que d’effluves et de murmures ! La mélodie insinuante monte doucement vers Marguerite et s’empare de tout son être. Sûre enfin de sa victoire, elle éclate, et le rideau tombe sur une explosion triomphale.

Voilà le sommet de l’œuvre et le comble du sentiment qui la domine ; l’acte du jardin, c’est l’essence même du génie de Gounod. Il faudrait maintenant redescendre ce long chemin d’amour, en admirer les stations désormais douloureuses : la chambre de Marguerite, l’église, la mort de Valentin, enfin et surtout la scène de la prison, suprême purification, transfiguration divine. Il faudrait montrer aussi que Faust est avant tout, mais non pas uniquement, une œuvre d’amour, que tous les sentimens de l’âme y occupent une place, et une place glorieuse, que pas une corde ne manque à la lyre. La tâche serait aisée, mais longue. Et puis n’est-elle pas superflue ? Qu’est-il besoin d’apporter notre humble pierre à l’édifice de gloire debout et tout entier ? Après la cinq-centième représentation de Faust, il n’y a qu’à s’incliner devant le maître, à l’applaudir et à le remercier.

Faust a été mieux interprété que Don Juan. Mme Lureau-Escalaïs elle-même a montré dans les deux premiers actes des qualités nouvelles : de la douceur, de la grâce, presque de la poésie. Elle a dit avec réserve sa phrase d’entrée, avec naïveté la chanson du roi de Thulé, avec tendresse le duo d’amour. Çà et là, des détails compris, des accens justes. Mais, dès le troisième acte, hélas ! les défauts ont reparu. Il ne faut pas crier ainsi. Quand une pauvre fille va mourir, brisée de lassitude et de honte, quand elle remet son âme à Dieu, elle le fait doucement, dans l’extase et non dans la colère, sans jouer des coudes ni frapper du pied. On ne parle pas sur ce ton aux « anges purs, » aux « anges radieux, » sous peine de les faire s’envoler.

Quant à MM. de Reszké, c’est plaisir de les entendre ensemble et de les louer de même. Voilà de vrais, de grands artistes, et si nous disons d’eux toujours la même chose, c’est parce que c’est toujours la même chose. Et cependant, non. M. Édouard de Reszké chante Méphistophélès de mieux en mieux. Son interprétation du rôle est, je crois, la vraie. Il le joue à la fois avec esprit et avec grandeur, avec une bonhomie large, qui n’exclut ni l’élégance ni la noblesse. De sa voix splendide, M. Édouard de Reszké peut et sait tout obtenir : l’extrême puissance et l’extrême douceur.

Faust demandait au démon la jeunesse ; elle lui a été donnée, cette fois, et avec toutes ses grâces : jeunesse de visage et jeunesse de cœur. Jamais le rôle de Faust n’a été tenu comme par M. Jean de Reszké. Chanter à volonté le Prophète et Faust, et les chanter ainsi, c’est d’un artiste hors ligne. M. de Reszké chante tout avec le même talent, avec le même bonheur. Oui, il y a du bonheur, de la joie, dans