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« J’entrerai, » a dit l’amiral Roussin. Le moment est venu : moment solennel où vont se jouer une belle réputation militaire et une escadre dont la perte serait un deuil immense pour la France. Le vent est-il donc devenu tout à coup propice ? Le vent n’a guère varié ; mais il a suffi au Dragon : pourquoi ne suffirait-il pas à l’escadre ? Qu’il la conduise seulement au-delà du fort Saint-Julien : le courant de flot fera le reste.


VII

Le soleil du 11 juillet 1831 se lève. Nous possédons le rapport officiel de l’amiral Roussin sur cette imposante journée. Tout le monde l’a lu. C’est une belle page d’histoire. Nous lui préférons cependant le simple récit inséré dans la table de loch, où nous n’avons cessé de puiser à pleines mains. Ici, nulle emphase : des faits. L’amiral se raconte à lui-même sa gloire, — sa grande gloire, — dépouillée de tout artifice de rédaction.

« Du lundi 11 au mardi 12 juillet. — A neuf heures du matin, vent de nord-ouest. Je me décide à entrer. — Je fais appareiller. — L’escadre rallie. — Je gouverne sur elle. — Mon ancre est levée à dix heures : elle est cassée. — J’expédie mes dernières instructions à tous les bâtimens. — Je signale de serrer le vent tribord amures. — La mer est grosse, la brise forte, la brume épaisse. — A midi quarante-cinq minutes, la distribution de mes ordres, confiée aux avisos, est terminée. La marée favorable doit finir à trois heures. Il n’y a plus de temps à perdre, — viré lof pour lof et formé l’ordre de bataille bâbord amures :

Colonne de gauche. — Marengo, Algésiras, Suffren, Ville-de-Marseille, Trident, Alger, Pallas, Melpomène, Didon.

Colonne de droite. — Endymion, Eglè, Dragon, Perle.

A une heure quarante-cinq minutes, laissé arriver dans la passe du sud. — Gouverné sur le vaisseau de tête, entre les forts Saint-Julien et Bugio. — A deux heures, ces forts ouvrent leur feu. — Nous sommes encore trop loin. — A deux heures dix minutes, nous ouvrons le nôtre sur le fort Saint-Julien. Les corvettes et les frégates canonnent le fort Bugio. — Nous passons ensuite successivement devant les forts intérieurs. — Tous combattent, mais avec maladresse. Quand nous sommes par le travers, ils se taisent.

A trois heures, arrivés devant Paco d’Arcos. — Le Marengo et l’Algésiras n’ont pas aperçu le signal de continuer. Ils mouillent au poste que je leur avais assigné dans la première partie du plan d’attaque. Voyant que je continue, ils remettent sous voiles et suivent l’escadre. Chef de file alors, le Suffren arrive, à quatre heures,