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arrivée, canonnait une forteresse. C’est ainsi qu’il entendait « assurer son pavillon. » Je laisserai ici parler son propre journal, ce memento où il consignait chaque soir ses actes et ses impressions : « Le jeudi 30 juin, écrit-il, vu la terre de Portugal, à trois lieues, — cap la Roque ; — approché jusqu’à trois milles, — mis en panne, à cause d’une brume épaisse qui borne la vue. — Les corvettes reçoivent l’ordre d’aller chercher des pilotes parmi les pêcheurs. — À neuf heures, on aperçoit un trois-mâts devant nous, tout à fait à terre. — Il est Portugais. — Le Hussard est de l’avant ; il le canonne, mais de trop loin. — Le trois-mâts serre la côte, de manière à toucher légèrement sur la pointe du cap Razo. — Il gagne la terre néanmoins, et se dirige sur le fort Sainte-Marthe et sur la citadelle de Cascaës. Il va mouiller sous cette forteresse. Le Hussard prend le large. — Le Suffren prolonge sa route sur le navire étranger. Parvenu devant le fort, il se trouve un peu trop sous le vent pour le combattre et atteindre le bâtiment portugais mouillé. Je reprends tribord amures, — vent du nord et nord-nord-ouest. — Quand je suis assez au vent, je revire et viens combattre le fort à demi-portée, le navire à 150 toises. — Le fort tire sur nous. Les boulets nous dépassent de 300 toises. — Le fort fait usage de peu de ses pièces, faute de monde, sans doute, car il a beaucoup de canons. Nos boulets lui arrivent en grand nombre. — Le Portugais amène. — Un canot et deux officiers vont à son bord et s’en emparent. — Nous continuons, le fort et nous, à nous canonner. Quand nous l’avons dépassé, la Melpomène nous imite et combat à son tour. Nous revirons pour nous élever de nouveau au vent et serrer encore une fois le fort à la même distance. — Le bâtiment portugais file sa chaîne, appareille et nous rallie. — Après avoir reviré une troisième fois sur le fort, nous le laissons et prenons le large avec notre prise. C’est le Wellington de 450 tonneaux, venant de Bahia, chargé de sucre, coton, cuirs, etc., parti le 16 avril 1831. Je lui donne un équipage et l’expédie pour Brest. — Fait signal de satisfaction à la Melpomène. — Beaucoup de nos boulets ont touché le fort. Les boulets du fort nous ont tous beaucoup dépassés ; un seul nous a touchés sans accident. — Le fort m’a paru manquer de monde, mais il a au moins 100 pièces. C’est le fort Santa-Martha et le fort San-Antonio-da-Guia. C’est une citadelle à plusieurs rangs de batteries. »

De vaisseau à forteresse, il se passe souvent des choses étonnantes. Voici ce que j’ai vu devant Sébastopol, au mois d’octobre 1854. Un brick de commerce autrichien, chargé de foin pour le compte des Anglais, part un matin du mouillage de la Katcha pour se rendre à Balaklava. Le vent était court, la brise faible : le courant rapproche peu à peu le navire de la côte. Le capitaine veut