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du commandement : la responsabilité. Ce que je leur offre ici n’est autre chose que le journal de bord de l’amiral Roussin, de l’amiral conférant avec lui-même, attestant, par un document qui ne fut jamais destiné à voir le jour, les phases que sa détermination a traversées, avant d’aboutir à l’acte de vigueur dont il importe de perpétuer le souvenir.

Que savait-on de l’entrée du Tage, quand l’amiral Roussin reçut l’ordre de la forcer, si l’obstination du gouvernement portugais lui en démontrait la nécessité ? On savait qu’en 1806 et en 1807, le contre-amiral sir Sidney Smith, celui-là même dont Napoléon disait à Sainte-Hélène « qu’il lui avait fait manquer sa fortune, » s’était, quand nous occupions Lisbonne, borné à la bloquer. Depuis cette époque, les défenses du Tage étaient, d’un consentement unanime, réputées « inexpugnables. » On ne discutait plus la question. Outre ce renseignement, si positif dans sa concision, le ministère n’avait à communiquer au commandant de nos forces navales que des rapports d’émigrés. Personne n’ignore, je pense, que les rapports d’émigrés doivent toujours être tenus pour suspects. Les émigrés, — je ne les en blâme pas, — aplanissent à dessein les difficultés devant l’étranger qu’ils veulent engager à tout prix. du échec ne pourra que leur garantir plus sûrement encore le concours dont ils ont besoin.

L’embouchure du Tage est comprise entre le fort Saint-Julien, bâti sur la terre ferme, et le fort de Bugio, élevé sur un îlot complètement isolé du rivage. Cette embouchure a un mille trois quarts de large, — 3,241 mètres, de 16 à 17 encablures à peu près. L’espace navigable se trouve singulièrement rétréci par deux bancs qui se prolongent sous l’eau dans la direction du sud-ouest, dangereux récifs dont la présence n’est signalée, même à marée basse, que par les remous du fleuve. Ces deux traînées de roches et de sable portent le nom de Cachopo du nord et de Cachopo du sud. Entre le Cachopo du nord et le fort Saint-Julien, il existe une passe, — la petite passe, — large de deux encablures, profonde de 10 et 11 mètres, très courte, par conséquent très facile à franchir, pourvu que le vent soit franc, bien établi, et qu’il souffle de l’arrière. Le chenal du sud est la grande porte du Tage. La profondeur de l’eau s’y maintient, pendant tout le parcours, entre 13 et 20 mètres. Cette passe, — la grande passe, — où peuvent s’engager, de tout temps et en pleine confiance, les plus forts vaisseaux de ligne, conserve, jusque dans sa partie la plus étroite, une largeur d’un mille marin au moins. La longueur du mille marin est de 1,852 mètres.

Le fort Saint-Julien, la tour de Belem, la ville de Lisbonne, occupent la rive droite du fleuve. Du fort Saint-Julien à la tour de