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longeant franchement sa bordée vers le continent américain, on ne tarde pas à retrouver un ciel clair et le régime régulier des alisés. Cette confiance ne nous a été inspirée que depuis une trentaine d’années par le succès de quelques capitaines américains. La route des Portugais, recommandée encore par « le pilote du Brésil, » retint assez longtemps, le Jean-Bart dans des parages où les grains sont fréquens. Un de ces tourbillons soudains, difficiles à prévoir, surprit le fier vaisseau toutes voiles déployées, les cacatois en tête de mât, et lui coûta la perte de sa grand’vergue. L’accident me fut plus d’une fois raconté par de vieux matelots, durant les quarts de nuit, sur le gaillard d’avant de l’Aurore. L’amiral Roussin le supporta sans humeur et le répara si promptement, que sa traversée en fut à peine allongée. Le 5 juillet, il arrivait devant l’entrée de Rio-Janeiro.

Sans perdre un instant, sons s’amuser à parlementer avec les forts qui le hèlent, il franchit tout d’un trait les formidables passes hérissées d’artillerie. Duguay-Trouin lui a donné l’exemple, et pourtant Duguay-Trouin, s’il eût pu voir les fortifications nouvelles sous lesquelles l’escadre en branle-bas de combat et mèches allumées défile, n’aurait pu s’empêcher d’applaudir à tant d’audace. Les canonniers des batteries, pris à l’improviste, hésitent, attendent des ordres : vaisseau-frégates, corvettes, bricks, toute l’escadre, conduite par le Jean-Bart, est déjà hors de portée. Roussin va jeter l’ancre à 600 mètres des quais de la ville. Dès ce moment, il était maître de la position. Il salue le pavillon brésilien : le salut lui est rendu coup pour coup. Il demande une audience à l’empereur : l’audience lui est sur-le-champ accordée. En quelques jours, l’intelligence se trouve rétablie entre les deux pays. Au mois de septembre 1829, l’escadre rentrait à Brest. Le 15 septembre, l’amiral, pacifiquement victorieux, amenait son pavillon.

« Le roi, lui écrivait, le ministre de la marine, a remarqué la manière franche et hardie dont vous avez débuté sur la rade de Rio-Janeiro, en venant mouiller devant cette ville, prêt à vous conduire en ami ou en ennemi, suivant les circonstances. Vous avez eu, aussitôt après, une heureuse inspiration en brusquant votre première entrevue avec l’empereur don Pedro. Il n’est pas douteux que cette démarche n’ait aplani, tous les obstacles. Ainsi, monsieur le contre-amiral, vous avez amené, par votre attitude, la solution d’une difficulté qui intéressait essentiellement notre commerce, et vous avez fait consacrer pour l’avenir un principe important de droit maritime, principe qu’à l’exemple de l’Angleterre, le Brésil n’avait pas voulu jusque-là reconnaître. Il n’a point échappé au roi qu’étant à la tête de forces suffisantes pour détruire, s’il l’eût fallu,