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d’horreur pour le mensonge, insatiables d’apprendre et apprenant facilement, désintéressées dans leur modération, leur douceur et leur magnanimité. C’est qu’avant tout Platon, en bon citoyen, songe au bien public, et que, par l’éducation des natures philosophiques, il voudrait préparer pour la société des guides capables de la bien gouverner un jour et de faire son bonheur. On s’est beaucoup raillé de ce rêve platonicien ; mais la raillerie paraît bien déplacée quand on songe aux règnes d’Antonin le Pieux et de Marc-Aurèle. Il n’est que trop réel que la félicité des peuples est en proportion de la sagesse de ceux qui les gouvernent. Les sages sont partout fort rares ; ils le sont plus encore à la tête du pouvoir. Du reste, Platon ne se trompe pas sur le sort qui attend les philosophes dans leurs relations avec le reste des hommes ; et l’exemple de son maître, Socrate, pouvait lui faire voir jusqu’où vont parfois l’ignorance, l’envie et l’iniquité contre les plus innocens.

Avec Aristote, la philosophie est constituée dans toute sa force ; elle connaît tous ses devoirs, presque aussi clairement qu’avec Descartes, deux mille ans après lui. Père et organisateur de la métaphysique, il en marque le caractère en traits ineffaçables. « A la différence des autres arts, dit-il, la science des premiers principes et des causes n’a pas un objet directement pratique ; c’est là ce qu’atteste l’exemple des plus anciens philosophes. A l’origine, comme aujourd’hui, c’est l’étonnement et l’admiration qui conduisirent les hommes à la philosophie. Entre les phénomènes qu’ils ne pouvaient comprendre, leur attention, frappée de surprise, s’arrêta tout d’abord à ceux qui étaient le plus à leur portée ; et, s’avançant peu à peu dans cette voie, ils dirigèrent leurs doutes et leur examen sur des phénomènes de plus en plus nombreux. C’est ainsi qu’ils s’occupèrent des phases de la lune, du mouvement du soleil et des astres, et même de la formation de l’univers. Si donc c’est pour dissiper leur ignorance que les hommes ont cherché à faire de la philosophie, il est évident qu’ils ne cultivèrent si ardemment cette science que pour savoir les choses, et non pour en tirer le moindre profit matériel. En effet, cette science est, entre toutes, la seule qui soit vraiment libre, puisqu’elle est la seule qui n’ait absolument d’autre objet qu’elle-même. C’est la plus divine des sciences, et les dieux pourraient l’envier aux mortels, si les dieux étaient accessibles à un sentiment de jalousie. Les autres sciences peuvent être plus nécessaires que la philosophie ; il n’en est pas une qui soit au-dessus d’elle. »

Aristote dit encore, en comparant l’étude des choses éternelles et celle des choses périssables : « Dans quelque faible mesure que nous puissions atteindre et toucher aux choses éternelles, le peu