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d’une science aux principes qui la doivent sanctionner, on aperçoit que ces principes sont du domaine de la philosophie. C’est à ce centre qu’il faut toujours en revenir. Voilà comment on peut, avec Aristote, définir la philosophie : la science des principes et des causes. Parmi tant de définitions, celle-là est encore une des plus exactes, tout en étant une des plus vieilles. Ce n’est pas Descartes, non plus que Bacon, qui y contredirait. Le positivisme lui-même est contraint d’avouer qu’il y a des principes logiques, tels que celui-ci : l’effet ne peut pas contenir ce que la cause ne contient pas ; et « des dispositions morales innées qui règlent le gros de la conduite. » Mais les positivistes ne nous disent pas comment nous connaissons ces principes, qui sont tout ensemble la règle de nos jugemens et la règle de nos actes. Descartes, tant blâmé, n’est pas coupable d’une omission si peu philosophique.

C’est qu’en effet l’axiome cartésien est plus que scientifique, il est éminemment moral ; pour s’en convaincre, il n’y aurait qu’à voir les conséquences qui en sortent. Tout d’abord, l’esprit, en s’affirmant lui-même, se sépare de ce qui n’est pas lui ; il distingue profondément l’âme du corps ; et, malgré leur intime union, il ne peut plus les confondre. Ce principe a dans la science les suites les plus considérables ; il l’empêche de se perdre dans le matérialisme, vers lequel elle n’est que trop portée. Si les savans obéissaient toujours à ce prudent avis, et s’ils se rendaient à cette évidence, ils s’épargneraient bien des faux pas ; ils craindraient une inattention qui les mène aux plus regrettables erreurs. On n’attend pas de la science qu’elle démontre l’immortalité de l’âme et qu’elle en fournisse les preuves ; mais on peut lui demander de ne pas la nier à la légère, et de vouloir bien, avant de se prononcer, peser les argumens tirés par Descartes de la nature de l’esprit.

Autre conséquence de même ordre, et non moins profitable aux sciences. Descartes a rattaché directement l’idée de l’existence de Dieu à notre propre existence. L’esprit ne peut pas rentrer un seul moment en lui-même sans avoir le clair sentiment des bornes où il est renfermé. Partant de l’idée du fini qu’il voit en lui, il ne se comprend qu’à la condition de l’idée de l’infini, parce que le contraire suppose son contraire de toute nécessité, comme la sagesse antique l’avait dès longtemps reconnu. Descartes, appuyé sur cette invincible logique, ne balance pas à affirmer que l’existence de Dieu et l’existence de l’âme sont plus certaines que les choses du dehors. C’est un mathématicien, c’est un savant qui parle ainsi. Descendons avec le philosophe dans ces profondeurs et ces lumières de la réflexion, et nous verrons que les preuves du dehors, quelque puissantes qu’elles soient encore, ne valent pas cette