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pas nous. » Socrate avait obéi à l’oracle de Delphes : « Connais-toi toi-même ; » et il avait recommandé le divin conseil à ses semblables, après l’avoir pratiqué jusqu’à la fin et au péril de sa vie. Descartes, vingt siècles plus tard, a clos la question, en montrant le foyer inextinguible où la lumière se concentre, et d’où elle jaillit pour éclairer l’homme et l’univers. Descartes n’a peut-être pas introduit l’esprit philosophique dans le monde moderne, ainsi qu’on l’a dit, mais il y a tout au moins renouvelé.

A cet égard, les sciences doivent tout à la philosophie. Quoiqu’elles soient peu reconnaissantes envers elle, c’est pourtant de la philosophie qu’elles tirent toute leur certitude, et, par conséquent, toute leur puissance. Elles s’en rapportent spontanément au témoignage des sens, auxquels elles se fient, non sans motif, comme le genre humain s’y abandonne, par un instinct naturel. Sans eux, les sciences ne pourraient rien faire. Mais les sens ne sont pas infaillibles. Une réfutation qui les accable n’est pas à chercher bien loin : l’astronomie, une des sciences les plus vénérées et les plus sûres, leur donne le plus éclatant démenti, que Descartes a signalé le premier. Le lever, le coucher du soleil, et sa marche dans les vastes cieux, sont des faits quotidiens auxquels nos sens nous forcent de croire, mais que notre raison ne croit plus et qu’elle ne pourra jamais croire de nouveau. Dans quelle mesure faut-il se fier aux sens ? Dans quelle mesure faut-il les récuser ? C’est la philosophie seule qui l’enseigne aux sciences ; par elles-mêmes, elles ne peuvent pas le savoir. Sans doute, le savant peut faire les découvertes les plus belles et les plus utiles sans avoir examiné ce qu’est l’instrument dont il se sert, quelle en est la nature et la portée. Mais l’esprit humain a plus de souci ; et, après bien des efforts, il franchit toute la distance qui sépare le précepte socratique de l’axiome cartésien. Arrivé à cette limite extrême, il s’y arrête, parce qu’il ne saurait aller au-delà. Les sciences ne devraient pas en vouloir à la philosophie de les défendre contre le scepticisme, qui, depuis Ænésidème jusqu’à Hume, n’a cessé de les attaquer. Recevoir de la philosophie le secret de la méthode et de la certitude, est-ce donc si peu de chose qu’on puisse dédaigner de tels services ? N’en a-t-on pas toujours e plus urgent besoin ? Les sciences pourraient-elles les trouver ailleurs que dans la philosophie ?

Voilà déjà bien des liens essentiels entre la philosophie et les sciences. Sont-ce les seuls ? N’y en a-t-il pas encore bien d’autres ? Outre la méthode et la certitude, les sciences ne font-elles pas à la métaphysique des emprunts non moins indispensables ? Quand la science étudie les êtres que le monde des sens lui révèle, ne suppose-t-elle pas toujours certaines conditions indéfectibles auxquelles