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elle est à cette heure aussi étroite qu’elle l’a toujours été et qu’elle le sera toujours. Il n’y a pas entre les sciences et la philosophie cet antagonisme que Claude Bernard dénonçait avec tant d’amertume. Entre elles, il n’y a aucune opposition absolue ; de part et d’autre, c’est toujours le savoir. L’unique différence, c’est que l’objet du savoir n’est plus le même. Par là s’explique encore l’erreur du positivisme sur la nature de la philosophie. Des généralités sur les mathématiques, sur l’astronomie, sur la physique, la chimie, la physiologie et la sociologie seront toujours, quelque exactes qu’on puisse les faire, des mathématiques, seront toujours de l’astronomie et le reste. Les six principales sciences du positivisme auraient beau embrasser réellement tout le savoir permis à l’homme, la science de l’ensemble manquerait encore. On n’a pas défini ce qu’est le cercle quand on a défini ce que sont le diamètre, le centre, les rayons, les arcs, les sinus et cosinus, en un mot toutes les parties et les élémens du cercle. Même après ces définitions limitées, et quoique l’idée du cercle soit impliquée dans toutes, le cercle est encore à définir. Oublier cette dernière définition, plus compréhensive que toutes les autres, c’est ne faire les choses qu’à moitié. Il en est de même pour la philosophie et les sciences. Les notions que les sciences nous procurent ne sont que partielles ; la notion totale est absente ; et, sans celle-là, les autres sont trop incomplètes pour assouvir ce légitime besoin de connaître dont l’homme se félicite, loin de s’en affliger avec Kant.

La philosophie est donc un complément et un couronnement nécessaire ; sans elle, le savoir humain serait décapité. Mais elle fait pour les sciences, dont elle est le tronc, plus que les engendrer ; elle les nourrit de la même manière que l’arbre fait vivre ses rameaux. Toutes les sciences, sans aucune exception possible, n’ont qu’un procédé ; pour savoir les choses, il faut les observer, quoique d’ailleurs on les observe plus ou moins bien. Mais l’esprit humain, passionné pour le vrai, que fera-t-il afin de mieux assurer ses pas et d’éviter, autant qu’il le peut, des chutes fâcheuses ? Il s’imposera une règle de conduite dans l’usage de ses facultés. C’est ce qu’on appelle la méthode, mot dont l’étymologie ne signifie que cela. Mais à qui revient le soin de chercher la méthode, d’en fixer les lois et d’en prescrire l’application ? Évidemment, ce n’est à aucune des sciences particulières que ce devoir incombe. Si les mathématiques, l’astronomie, la physique ou toute autre science essaient d’étudier la théorie de la méthode, et si elles font acte de législation à l’égard des autres sciences, elles cessent par cela même d’être ce qu’elles sont ; elles manquent à leur fonction propre, pour assumer une fonction qui leur est étrangère. Cette