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elle sert aux besoins des brutes ; elle ne dit plus rien à notre raison ni à notre cœur.

C’est là cependant ce que le positivisme veut nous donner pour le dernier mot de la science et de la philosophie ; il est imperturbablement convaincu d’avoir résolu, l’énigme agitée, depuis plus de deux mille, ans, par tout ce qu’il y a de plus grand dans l’humanité. Sa foi en lui-même est si robuste et si aveugle, qu’il se persuade avoir changé de fond en comble les bases de la moralité, avec celles des sciences, et qu’il invite l’Europe civilisée à recommencer toute son éducation. Jusqu’à lui, tout a été ignorance et chaos ; c’est lui qui apporte, enfin la lumière que les siècles antérieurs n’avaient pas trouvée. La classification des sciences répond à tout et doit tout régénérer. Kant demandait, avec candeur, que les gouvernemens voulussent bien s’entendre pour inculquer le système de la raison pure aux peuples, qu’elle seule pouvait instruire. Auguste Comte ne présente pas une requête aussi naïve ; mais pour refaire l’éducation et la moralité des peuples, le concours des gouvernemens et des souverains les mieux disposés ne serait pas de trop, s’ils se prêtaient à cette croisade.

Ampère, le physicien, bien loin d’être l’adversaire de la philosophie, comme Auguste Comte et Claude Bernard, a fait lui-même de la psychologie et de la métaphysique spiritualistes ; mais, dans sa classification des sciences, il a méconnu la place réelle que la philosophie doit occuper. Il partage les sciences en deux règnes ou groupes principaux : les sciences cosmologiques et les sciences noologiques, c’est-à-dire sciences de la nature et sciences de l’esprit. Cette division était plus acceptable que celle de Bacon, adoptée par les encyclopédistes, ou que celle d’Auguste Comte. Mais commencer l’étude des choses par l’univers et ne mettre l’intelligence qu’en seconde ligne, c’est manquer gravement à la logique. Bacon avait commis la même faute, en rangeant les sciences selon l’ordre qu’il assignait aux facultés humaines : mémoire, imagination, raison ; histoire, poésie, science ou philosophie. Ampère a le tort de mettre aussi la philosophie au troisième rang, après les mathématiques et la technologie, et de la faire suivre de l’ethnographie. Il n’est pas plus heureux quand, abordant les sciences philosophiques proprement dites, il les dispose dans l’ordre suivant : psychographie, logique, méthodologie et idéogénie. A l’appui de cette division, déjà peu rationnelle, il en établit une autre, encore moins justifiable, dans la psychographie : ontothétique, théologie naturelle, hyparctologie et théodicée. Mais quelques critiques qu’on puisse faire de ses bizarreries et de l’uniformité de ses dichotomies, procédé défectueux emprunté au platonisme, Ampère s’est efforcé