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ministre plus occupé de sa situation personnelle que de tout autre intérêt, et qui la voyait gravement compromise, si une entreprise qu’il se vantait d’avoir conçue et qu’il avait au moins fortement conseillée tournait, par cette triste fin, à n’être plus qu’une ridicule aventure. Avant de se résigner à ce piteux dévoûment, Brühl voulut encore tenter un dernier effort. Après tout, rien n’était définitivement perdu, puisque l’armée autrichienne, ne s’étant pas engagée, était encore intacte, et que l’armée saxonne n’avait perdu que de faibles détachemens. On pouvait attendre une reprise d’action et d’énergie du prince de Lorraine, quand il recevrait (ce qui ne pouvait manquer de lui arriver) le blâme et les ordres indignés de Marie-Thérèse. L’essentiel parut donc de gagner encore quelques jours, sans exposer la personne royale à des périls qu’elle n’avait aucun goût à braver. Brühl conseilla à son maître de faire à l’envoyé de Frédéric une réponse évasive, en même temps qu’il quitterait lui-même sa capitale pour se mettre à l’abri d’un coup de main. L’avis, fait pour ménager à la fois l’orgueil et la timidité du roi, fut goûté. En conséquence, Villiers fut chargé de faire savoir au roi de Prusse que le roi de Pologne n’était pas éloigné d’adhérer à la convention de Hanovre, mais qu’il devait auparavant s’entendre avec la cour de Vienne, appelée aussi à prendre part à cet acte, et qu’en attendant, il était prêt à interdire aux troupes autrichiennes l’entrée du territoire saxon, pourvu que les troupes prussiennes se missent en devoir de l’évacuer de leur côté. Puis, les équipages royaux furent commandés, on passa toute une nuit à emballer les objets et les meubles précieux du palais, et le lendemain, en plein jour, aux yeux du peuple assemblé, le roi et sa famille montèrent dans une voiture découverte pour se rendre à Prague, où un asile leur était préparé. La violence publiquement constatée privait de toute valeur réelle même le consentement imparfait qui était donné aux exigences du vainqueur. Frédéric n’était pas d’humeur à se contenter de cette soumission apparente. Il lui restait donc un dernier coup à frapper pour achever sa victoire. C’est à Dresde même qu’il allait le porter[1].


Duc DE BROGLIE.

  1. Frédéric, Histoire de mon temps, chap. XIV et appendice. — Vaulgrenant à d’Argenson, 2 décembre 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)