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ébranler. Du reste, elle eût été heureuse de prévenir un conflit qu’elle regrettait, et elle offrait ses bons offices pour amener entre les combattans une transaction équitable.

La distinction entre les vieilles et les nouvelles possessions prussiennes pouvait être fondée, mais on s’en avisait tardivement, car il serait difficile de croire que Marie-Thérèse, sollicitant l’intervention d’Elisabeth, lui eût laissé ignorer en vue de quel dessein elle la réclamait. D’où venaient donc à Pétersbourg cette demi-retraite et ce changement d’attitude ? Était-ce la suite des explications chaleureuses envoyées par Frédéric ? Le rapprochement des dates ne permet guère cette supposition. Il ne faut donc voir laque l’effet d’un des caprices habituels à une femme indécise, peut-être aussi la prétention orgueilleuse d’une souveraine encore à moitié sauvage, et qui, admise pour la première fois dans la famille des monarchies européennes, était flattée d’y entrer en arbitre suprême, faisant la part de chacun, et tenant entre les parties adverses la balance égale.

Quoi qu’il en soit, on peut hardiment affirmer que, si Marie-Thérèse eût été présente au conseil de guerre auquel fut remise la signification russe, elle n’eût souffert ni qu’on en tint compte ni qu’on hésitât à passer outre. Le principal effet qu’elle s’était promis de l’appui de Saint-Pétersbourg était produit, puisque le territoire saxon était resté librement ouvert au passage des troupes autrichiennes, et que Frédéric, intimidé, n’avait pas songé à prendre les devans pour le leur interdire. Ce grand résultat moral était l’important ; quant au secours matériel que devaient apporter les 12,000 Russes annoncés, on n’avait jamais pu espérer qu’ils arriveraient à temps pour prendre part aux premières luttes, et il serait temps d’y songer en présence des faits accomplis et quand les alliés seraient arrivés victorieux aux portes de Berlin. La seule réponse à faire au ministre russe était donc une marche en avant résolument et victorieusement conduite.

Mais l’âme virile était à Vienne : il n’y avait à Dresde que des cœurs faibles et des esprits bornés. Auguste et Bruni, saisis de peur et perdant la tête, n’eurent plus qu’une pensée, c’était de tout faire pour complaire à la tsarine, et de rentrer strictement et à tout prix dans le programme qu’elle leur traçait. Dès lors, il ne fut plus question pour les Saxons de partir en guerre et d’entrer en Prusse par le territoire de Magdebourg. On ne songea plus à menacer Berlin de deux côtés à la fois ; on se borna à laisser à Leipzig un faible corps d’observation, auquel tout mouvement en avant fut interdit, tandis que le gros des troupes autrichiennes était mis sous les ordres du prince de Lorraine pour le seconder dans sa marche sur