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voisin que contraint par une nécessité de défense personnelle. La présence des Autrichiens sur un domaine qui ne leur appartenait pas ne pouvant s’expliquer que comme le premier acte d’une agression manifestement dirigée contre lui, de concert avec le maître du lieu, personne, quand l’Autriche aurait pris l’initiative de faire entrer ses troupes en Saxe, ne pourrait reprochera ses adversaires de répondre par une juste représaille à une véritable provocation.

A sa grande surprise, plusieurs jours s’écoulèrent sans que cette apparition des Autrichiens, toujours attendue, toujours annoncée, lui fût signalée. On apercevait bien des troupes légères circulant sur la lisière de la Bohême et de la Saxe, mais sans franchir la frontière ; on signalait bien autour de Zittau une agglomération de troupes saxonnes, mais, ces troupes étant là chez elles, il n’y avait encore rien à dire. Ce retard confondait Frédéric : — « Rien encore de Lusace, écrivait-il le 21 novembre à Podewils : ou ils attendent quelque chose, ou ils ont changé de dessein, ou je n’y comprends rien. »

Il ne se trompait pas : c’était bien un changement de dessein survenu à la dernière heure, ou plutôt une déplorable défaillance. Le 14, tout était encore prêt et réglé à Dresde pour le plan concerté à Vienne. Le général Grün était arrivé à point nommé au rendez-vous avec son monde ; il tenait conseil sous les yeux du roi de Pologne, avec le général des troupes saxonnes, Rustowski, en présence du comte de Brühl et de son inévitable acolyte, le confesseur Guarini. Auguste paraissait si résolu et si peu intimidé, qu’il réclamait l’honneur, pour son général, de commander, et pour ses troupes, d’ouvrir la marche dirigée par Leipzig contre le Brandebourg. Une notification imprévue du ministre russe vint subitement remettre tout en question.

Par ce nouveau message, qui atténuait les communications précédentes, sous prétexte de les expliquer, la tsarine maintenait bien à Auguste III la protection qu’elle lui avait promise, et qu’elle était toujours prête à appuyer par l’envoi d’un corps d’armée, mais elle bornait ses engagemens au cas seulement où il serait menacé d’une attaque de la part du roi de Prusse. Elle ne promettait rien s’il prenait l’initiative de se rendre lui-même l’agresseur. De plus, elle avait pu, disait-elle, elle pouvait encore admettre à la rigueur que les troupes saxonnes vinssent, en qualité d’auxiliaires, aider l’Autriche à remettre la main sur la Silésie, la Silésie étant une conquête de fraîche date, cédée seulement par une convention récente que Frédéric venait lui-même de violer. Mais une atteinte portée au patrimoine antique de la couronne de Prusse jetterait le trouble dans un état de choses garanti par des traités que la Russie était tenue de respecter : la Russie ne pouvait donc prêter son concours pour les