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semblait-il, de témoignage plus éclatant des intentions pacifiques de la Prusse et de sa résolution de respecter les droits de ses voisins. Une promesse de 100,000 écus, glissée à l’oreille du chancelier Bestuchef pour l’engager, quoi qu’il arrivât, à retarder et à entraver la marche des troupes russes, devait ajouter encore à la clarté et à l’efficacité de cette démonstration[1].

Il n’était pas moins intéressant de savoir, au plus tôt, ce que penserait l’Angleterre du dédain témoigné à Vienne et à Dresde pour les promesses et les engagemens dont le roi George et son ministère tout entier s’étaient fait fort d’obtenir la ratification. Ordre fut donc expédié sans délai à l’envoyé de Prusse à Londres de faire connaître l’attaque audacieuse dont le secret venait d’être révélé, et de mettre catégoriquement le cabinet anglais en demeure de faire respecter sa signature, si injurieusement foulée aux pieds. — « Vous vous souviendrez, lui était-il dit, de toutes les assurances les plus fortes que le roi de la Grande-Bretagne et ses ministres vous ont données, qu’ils soutiendraient par les moyens les plus efficaces et même par la pointe de l’épée ce dont ils étaient convenus avec moi par la convention de Hanovre, et qu’ils ne se laisseraient point impunément mépriser de la reine de Hongrie et de son alliée la Saxe. Voilà le cas présent, et ma volonté est que vous deviez représenter, sans le moindre délai, tout ce que je viens de vous dire, de la manière la plus forte et la plus énergique, à lord Harrington, bien que sans aigreur et dans des expressions honnêtes… Vous lui direz que c’est à présent qu’il fallait tout faire ou rien, qu’avec l’assistance du bon Dieu on ne m’attaquera pas impunément, et que, si l’Angleterre ne prenait pas de vigoureuses résolutions, je ne saurais pas me laisser prévenir. » La dépêche se terminait par ces paroles significatives : — « Que si l’Angleterre voulait soutenir ses engagemens, il était absolument nécessaire que le ministère de Hanovre fût instruit bien sérieusement de tirer la même corde là-dessus avec celui d’Angleterre, et qu’il n’agit pas dans l’empire diamétralement avec tout ce dont j’étais convenu avec l’Angleterre ; que, sans cela, il y aurait un contraste fort pernicieux, et que les choses prendraient un mauvais pli. »

Ne dirait-on pas qu’avec sa merveilleuse perspicacité, Frédéric avait vu clair dans le jeu de diplomatie secrète qui s’agitait autour de George, et dont les archives hanovriennes viennent de nous

  1. Frédéric à Mardefeld, ministre de Prusse à Saint-Pétersbourg, 8 novembre 1745. Pol. Corr., t. IV, p. 335-339. — Droysen, t. II, p. 596. — D’Aillon, ministre de France à Saint-Pétersbourg, à d’Argenson, 14 décembre 1745. (Correspondance de Russie. — Ministère des affaires étrangères.)