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personne et dans leurs biens pendant les deux épreuves successives que l’ambition de Frédéric avait imposées à leur patrie. C’était un ennemi intéressé à faire réussir tout ce qui pourrait déplaire ou nuire à l’auteur de tant de maux.

Avec l’Angleterre, la situation était plus délicate : là, il n’y avait évidemment aucun moyen de prévenir le ressentiment d’un cabinet auquel on lançait un défi en plein visage. Mais Marie-Thérèse n’ignorait pas avec quelle répugnance le roi avait subi les conventions dont il avait fallu, en quelque sorte, lui arracher la signature, et des révélations récemment sorties des archives de Hanovre nous apprennent qu’elle s’en souvenait assez pour espérer encore d’en tirer parti. Par l’intermédiaire du ministère hanovrien, qui lui était toujours dévoué, elle faisait avertir George qu’elle préparait un coup de partie décisif, qui, en mettant à néant la puissance de Frédéric, le délivrerait lui-même des obligations auxquelles il avait souscrit avec tant de regrets. L’odieux traité qu’on vous impose, lui disait en son nom son secret porteur de paroles, vous force à nourrir dans l’empire un serpent qui vous dévorera. Qu’on me laisse faire, qu’on me laisse le temps et la liberté d’agir, et je promets de vous en affranchir. Et George, bien que très intimidé par l’état de l’opinion anglaise, et craignant à tout moment d’être pris en faute par Pelham ou par Harrington, trouvait moyen de lui faire répondre tout bas que, pourvu qu’on ne le compromit pas par des paroles imprudentes, il promettait de faire son possible afin de déjouer les mauvaises intentions (üble intentionen) de ses ministres[1].

On voit avec quel art était préparé, par les soins de Marie-Thérèse, l’orage qui, suivant l’expression de l’historien Droysen, allait fondre à l’improviste sur la tête de Frédéric à cette heure suprême où, échappé à tant de périls, il croyait déjà tenir une paix victorieuse dans ses mains. Quelques jours de plus, et, tiré brusquement de cette confiance un peu aveugle, il allait se réveiller en face du plus grand péril qu’il eût encore connu : assailli par deux armées sur la frontière la moins bien gardée de son royaume, et menacé d’en voir apparaître une troisième sur ses derrières ; laissé en même temps, par l’abandon de la France, absolument seul devant l’Allemagne et devant l’Europe. Aucun incident de cette longue lutte ne fait mieux voir combien les deux adversaires en

  1. Ces pourparlers secrets, entretenus entre Marie-Thérèse et George II par l’intermédiaire du ministère hanovrien, sont racontés avec détail dans une publication récente faite à Berlin, d’après des documens tirés des archives de Hanovre, sous ce titre : Die Englische Friedens-vermittelung im Jahre, 1745, par Ernest Berkowski. — Consulter en particulier chap. II, p. 30-46.