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sommeil de ses ministres. Les instances de l’envoyé autrichien à Saint-Pétersbourg venaient enfin de déterminer l’inconstante tsarine à faire un pas décisif, et Frédéric, à peine de retour à Berlin, allait recevoir d’elle la déclaration tant de fois attendue que, pour peu que la moindre atteinte fût portée à la personne d’Auguste ou à l’intégrité de ses états, un corps de douze mille Russes était prêt à marcher à sa défense. Devant cette injonction menaçante, Frédéric y réfléchirait sans doute avant de prendre une initiative qui l’exposerait au péril d’être placé entre deux feux, et le territoire saxon se trouverait ainsi rendu inviolable, par la garantie russe, tout le temps nécessaire pour que Grün et le prince de Lorraine pussent venir discrètement y chercher le point d’appui et le point de départ de l’attaque qu’ils comptaient porter au cœur même de la monarchie prussienne[1].

La négociation en cours avec la France (quel qu’en dût être le succès) avait un effet analogue, celui de prévenir toute chance de retour offensif de la part de l’armée de Conti. Non que ce fût là le but unique, ni même principal, que l’impératrice se fût proposé en engageant ces pourparlers, et qu’elle n’eût d’autre pensée que d’endormir le cabinet français par de fausses espérances. On a vu, au contraire, que rien n’était plus sérieux et même plus ardent que son désir d’échapper par une alliance nouvelle aux sacrifices exigés d’elle par l’impérieuse amitié de l’Angleterre. Mais, en attendant cette délivrance (qu’elle était prête à payer même d’un prix assez élevé), c’était encore un avantage plus modeste et nullement à dédaigner de pouvoir imposer à l’allié, encore nominal, de Frédéric des ménagemens qui, dans la crise prête à éclater, ne laisseraient rien de grave à craindre de sa part. Or, il était clair que, tant qu’on espérerait pouvoir négocier à Versailles, on n’enverrait pas à l’armée de Conti l’ordre de reprendre les hostilités sur le Rhin. Aussi, loin de se laisser décourager par le résultat imparfait de la transaction si languissamment conduite à Francfort par Bartenstein, l’impératrice se décidait-elle à envoyer à Dresde pour reprendre la conversation avec la France, — pour la mener à fin, s’il était possible, et, en tout cas, pour la prolonger et l’entretenir, — un des fonctionnaires les plus importans de sa cour, le comte d’Harrach, grand-chancelier de Bohême, avec les pouvoirs les plus étendus. Le choix seul du négociateur devait inspirer confiance dans le caractère sérieux de la mission dont il était chargé ; car d’Harrach appartenait à cette partie fidèle de la noblesse de Bohême dont les chefs avaient si cruellement souffert dans leurs affections, dans leur

  1. D’Arneth, t. III, p. 130-138.