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des moyens d’apporter l’appui d’une habile action diplomatique à la grande action militaire qu’elle méditait.

Plusieurs choses, en effet, étaient à redouter dans l’exécution de ce grand coup de main : plus d’une mauvaise chance était à prévoir et à prévenir. On pouvait craindre en premier lieu que, malgré toutes les précautions prises pour dissimuler d’abord et hâter ensuite le passage des troupes autrichiennes à travers la Saxe, Frédéric, dont la vigilance était rarement prise à défaut, ne fût averti assez à temps de leur présence pour venir à leur rencontre, ou les devancer même chez son voisin, au lieu de les attendre chez lui. Il ne ferait ainsi que mettre à exécution ce dessein d’envahir lui-même la Saxe, si souvent annoncé pendant l’été, et auquel il n’avait renoncé que dans la confiance inspirée par sa victoire de Sohr. La Saxe alors, au lieu de servir simplement de passage aux troupes autrichiennes pour se rendre en Prusse, deviendrait, au grand désespoir d’Auguste III, le théâtre d’une lutte sanglante. D’autre part, du côté de la France, Frédéric pouvait obtenir, sinon un secours immédiat, du moins une diversion utile : supposé que le prince de Conti, voyant se dissiper par le détachement du corps du général Grün l’agglomération de forces qui l’avait fait reculer, reprit courage, repassât le Rhin et vint menacer quelque point des possessions méridionales de l’Autriche. C’était peu vraisemblable, étant donné l’état connu de l’opinion française à l’égard des expéditions allemandes ; mais enfin c’était possible, et, pour ne rien négliger, il y avait de ce côté une précaution à prendre. Enfin l’irritation qu’éprouverait l’Angleterre à voir son indocile alliée se refuser à ses instances et braver ses menaces, suite à peu près inévitable de l’attitude provocante que l’Autriche et la Saxe allaient prendre en commun, avait ses périls qu’il fallait conjurer. La conséquence pouvait être d’établir promptement, entre les puissances maritimes et la Prusse, une alliance beaucoup plus intime que celle que la convention de Hanovre venait de stipuler. Le cabinet anglais, quels que fassent ses embarras intérieurs, avait encore à sa disposition des ressources pécuniaires qui pouvaient fournir un utile supplément au trésor épuisé de Frédéric, et lui permettre, même vaincu, même menacé et poursuivi dans Berlin, de continuer la lutte et de donner à la fortune le temps de se retourner.

Marie-Thérèse avait tout prévu et pourvu à tout. Contre le premier et le plus grave de ces périls, elle avait eu soin de se prémunir, en faisant apparaître à l’horizon cette intervention de la Russie, tenue, depuis le commencement de la guerre, comme une épée sur la tête de Frédéric, et qui avait le don de troubler le