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font qu’asservir l’Italie à des desseins étrangers, qui peuvent l’entrainer dans des aventures périlleuses, sur la foi de faux calculs et de promesses assez décevantes, L’Italie se sent flattée d’être en tiers, à la place de la Russie, dans la triple alliance, c’est possible. C’est peut-être aussi une politique assez vaine. Le jour où la nation italienne se réveillera de cette hallucination des grandes alliances, elle reviendra tout simplement à la seule politique qui lui convienne, à une politique d’indépendance et de libéralisme qui ne la conduirait peut-être pas à Friedrichsruhe, qui ne lui a cependant pas fait tort, puisque c’est par cette politique qu’elle existe.

On parle toujours de la paix, et on a certes raison d’en parler. Le meilleur moyen de maintenir, de préserver la paix, ce n’est pas d’imaginer sans cesse de vastes combinaisons qui ne sont souvent qu’une menace de plus, c’est de mettre une bonne volonté sérieuse et sincère à dénouer pas à pas toutes les questions qui peuvent la compromettre qui sont au moins un embarras dans des situations déjà assez difficiles. A défaut de mérite plus éclatant, c’est l’intérêt de ces récentes conventions par lesquelles la France et l’Angleterre viennent de régler de vieilles contestations, de vieux litiges qui traînaient dans leurs affaires, qui ont quelquefois compliqué leurs rapports dans ces dernières années et ont même soulevé de violentes polémiques.

Il n’y a que quelques jours encore, lord Rosebery, qui a été chef du foreign-office, qui le redeviendra sûrement, s’escrimait en Écosse contre le ministère, contre lord Salisbury, dont il accusait la faiblesse dans cette affaire des Hébrides qui a excité les plus vives passions en Australie. Au moment où il parlait, l’affaire était à peu près réglée. L’Angleterre et la France, par une diplomatie bien entendue et utilement pratique, se sont accordées pour mettre fin à de perpétuels conflits, à des compétitions de suzeraineté ou de protectorat sur cet archipel lointain des Hébrides. Les deux nations, en reconnaissant l’indépendance des Hébrides, se sont réservé le droit de faire concurremment, dans des conditions d’égalité, la police de ces îles pour la protection de leurs intérêts et de leurs nationaux. Elles ne font en cela que donner une forme plus précise, définitive, à d’anciens engagemens tombés en désuétude où mal interprétés, qui revivent aujourd’hui. La France a fait quelques concessions à l’Angleterre au sujet des Hébrides ; l’Angleterre, à son tour, n’a point hésité à reconnaître les droits jusqu’ici quelque peu contestés de la France sur le groupe dit des « Iles-sous-le-Vent, » qui se rattache plus particulièrement à Taïti. C’est un nid de querelles lointaines supprimé par l’arrangement nouveau ; mais de ces conventions récentes conclues entre la France et l’Angleterre, la plus importante, la plus caractéristique sans nul doute, est celle qui, en consacrant la neutralisation de l’isthme de Suez, rétablit un certain accord des deux puissances dans les affaires