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même avec mesure ; il a passé avec art à travers les difficultés. Malheureusement, en dépit de toutes les protestations de franchise, ses explications n’expliquent rien. Tout ce qu’il dit, on le savait d’avance. M Crispi s’est étudié à démontrer que l’Italie, en s’alliant intimement avec les deux empires du centre de l’Europe, n’avait d’autre souci que la paix, que, s’il y avait eu conspiration à Friedrichsruhe, on n’avait conspiré que pour la paix ; il a même ajouté, — c’est la seule indiscrétion qu’il s’est permise, — que M. de Bismarck, en le quittant, lui avait dit en confidence qu’à eux deux ils venaient de rendre un grand service à l’Europe ! On n’en peut pas douter, puisque M. de Bismarck l’a dit — et voilà d’un seul coup M. Crispi transformé en conservateur de l’ordre et de la paix en Europe ! Seulement, après comme avant l’entrevue de Friedrichsruhe et le banquet de Turin, aujourd’hui comme hier, on est toujours réduit à se demander qui menace la paix, contre qui l’Italie particulièrement se croit obligée pour sa défense de recourir à de si puissantes combinaisons. C’est un point toujours obscur que le discours de Turin a oublié d’éclaircir. M. Crispi s’est efforcé, nous en convenons, d’atténuer l’effet de ses voyages en Allemagne et de ses vastes conceptions diplomatiques par des protestations de la plus sympathique cordialité pour la France. Il a bien voulu nous assurer qu’il n’avait que de bons sentimens pour notre pays, que jamais il ne se permettrait une offense envers un peuple ami, « lié à l’Italie par l’analogie de race, par les traditions et la civilisation ; » il a bien voulu ajouter que personne ne pouvait désirer la guerre entre l’Italie et la France, que l’issue, quelle qu’elle fût, serait funeste pour les deux pays, aussi bien que pour l’équilibre européen. Le président du conseil du roi Humbert, en un mot, s’est ingénié par son langage à apaiser les susceptibilités françaises.

C’est à merveille ! Malheureusement ici encore les paroles sont des paroles et les faits sont des faits. La réalité est que M. Crispi est l’ami de la France, mais qu’il est encore plus l’ami de M. de Bismarck, et que dans le cas où surviendraient des événemens que personne ne désire oui sont néanmoins toujours possibles, il a fait son choix, il est aile porter d’avance à Friedrichsruhe ses préférences ses engagemens ses ambitions. Il ne le dit pas explicitement, les faits le disent d’une manière plus significative pour lui. Il reste à savoir ce que l’Italie aura gagné à s’enchaîner à des combinaisons dont elle n’est pas maîtresse, à se jeter dans une carrière où tout est hasard. Au fond, l’intérêt le plus vrai de l’Italie serait justement de se tenir en dehors de ces grands mouvemens, où elle ne peut que se compromettre, de garder la liberté de ses résolutions. Elle désire la paix la paix avec la France comme avec tous les autres pays, c’est le vœu le plus général au-delà des Alpes, nous n’en doutons pas. Pourquoi alors se précipiter avec une sorte d’impatience fébrile dans des alliances qui ne