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plus vivement l’esprit et les tendances. Assurément, M. Dumas est un « auteur dramatique » et un « homme de théâtre. » Il l’a prouvé de plusieurs manières : en rendant dramatiques des sujets qui ne l’étaient pas avant lui, comme son Fils naturel ou comme sa Question d’argent ; et surtout en nous donnant ce qui nous manquait depuis si longtemps : un théâtre émancipé de l’imitation des modèles, un théâtre tout neuf et complètement original, dans la forme comme dans le fond, un théâtre où tout est invention, innovation, création, les sujets d’abord et les moyens ensuite. Mais, quand les parties de métier, dans ce théâtre, seraient supérieures encore à ce qu’elles y sont, le mérite éminent de M. Dumas, et sa plus durable originalité, ce sera toujours, comme il le dit lui-même, « d’avoir rendu par le théâtre plus que la peinture des mœurs, des caractères, des ridicules et des passions. » Même s’il vient un temps où l’on ne jouera plus que deux ou trois de ses comédies, on le louera encore de ne pas s’être borné au rôle d’amuseur public, et, puisqu’il avait quelque chose à dire, de l’avoir dit. En le lisant, on admirera qu’ayant mis tant de questions à la scène, il ait trouvé si souvent le moyen de les traduire en action, de les faire débattre entre tant de personnages si vivans et si contemporains. Mais ce que sûrement on lui reprochera le moins, ce sera de n’avoir pas toujours donné « son sens exact à maint article du Code ; » et ce qu’on ne lui reprochera pas du tout, ce sera d’avoir attiré l’attention publique sur ce qu’il croyait lire dans la loi de fâcheux, d’inhumain et d’inique.

Parce qu’ils tiennent un bout de certaines questions, les jurisconsultes s’imaginent assez volontiers qu’elles leur appartiennent tout entières ; et ils parlent couramment de a leur science, » comme fait de la sienne un physiologiste ou un astronome. Il y a toutefois une différence, et elle n’est pas petite. Si j’ignore les élémens mêmes de l’astronomie ou de la physiologie, c’est avec raison que l’on me dénie le droit d’en parler, attendu qu’après tout, ni mon état, ni ma fortune ou ma sécurité, ni mon honneur ne dépendent de connaître la théorie de la circulation, et bien moins encore, je pense, de la conjonction de Vénus avec le Soleil. Mais si je me trompe sur la matière du droit, on me le prouve, en fait, chèrement ou durement ; il y va de tous mes intérêts, voilà pour la pratique ; et, en théorie, conséquemment, tout ce que l’on peut faire, c’est de me montrer mon erreur, et de ruiner du même coup ma critique, mais non pas simplement et dédaigneusement me renvoyer à l’école.

Formalistes qu’ils sont, par étude et par profession, on ne saurait trop rappeler aux jurisconsultes que les formes n’existent pas en elles-mêmes ni pour elles-mêmes, mais seulement, et à la manière des cérémonies ou des observances du culte, comme conservatoires du fond.