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LA VIE DE CHARLES DARWIN.

travail sur les Variations des animaux et des plantes à l’état domestique, œuvre dans laquelle il note l’abondance des variations légères que présentent ces êtres, et montre le parti qu’en a tiré la sélection artificielle, consciente ou inconsciente, exercée par l’homme, pour la production de variétés nouvelles. Le livre ne voit le jour qu’en 1868. Entre temps, Darwin a reçu la médaille Copley, la plus haute des récompenses dont la Société royale dispose. « C’est un grand honneur, écrit-il à ce propos ; mais, à part plusieurs lettres affectueuses, ces choses m’importent peu : cela montre, toutefois, que la sélection naturelle fait quelques progrès dans ce pays, et ceci me fait plaisir. » Il est à noter que la Société royale récompensait en Darwin, non l’auteur de l’Origine des Espèces, mais l’écrivain des Récifs de corail, du Voyage d’un naturaliste, de l’ouvrage sur les cirripèdes, etc. Cette réserve est strictement indiquée par le discours qui accompagna la remise de la médaille, et elle indique que, si les idées de Darwin étaient acceptées d’une petite élite, elles étaient encore en suspicion auprès de la foule des savans.

C’est vers cette époque qu’il fait la connaissance de F. Müller, savant pour lequel il professe la plus haute estime ; de V. Carus, qui sera désormais son traducteur attitré pour la langue allemande ; de Preyer, le physiologiste d’Iéna, qui, dans son beau livre, l’Âme de l’enfant, reprend l’étude ébauchée par Darwin sur le développement psychologique du nouveau-né, et à qui il écrit : « Jusqu’à présent, je suis continuellement honni et traité avec mépris par les écrivains de mon pays, mais les jeunes naturalistes sont presque tous avec moi, et, tôt ou tard, le public devra suivre ceux qui font des études spéciales sur la matière. Le dédain et les injures des écrivains ignorans me touchent peu. » Citons aussi M. A. Gaudry, à qui il fait remarquer combien c’est chose étrange que la patrie de Lamarck, de Buffon, de Geoffroy Saint-Hilaire, soit si réfractaire à l’adoption de ses vues ; M. de Saporta, dont l’appui lui fait grand plaisir ; Haeckel, qui depuis a outré le darwinisme de la façon que l’on sait ; Carl Vogt, qui n’hésite pas à prendre un rôle militant en faveur de l’Origine des Espèces.

Parmi les lettres de cette époque, il en est une qui est fort intéressante : elle se rapporte à une question physiologique dont le parlement était saisi, celle des mariages entre cousins germains. Darwin arrive à la conclusion, formulée dans une lettre à sir John Lubbock, que l’on ne connaît rien de précis sur la matière, et que l’idée communément acceptée de l’influence nuisible des unions consanguines repose sur des traditions, des préjugés, et non sur des faits. La question n’est pas de celles que l’on résout aisément, car une étude spéciale amena un de ses fils, George Darwin, à conclure (en 1875) qu’en l’état actuel il est impossible de se prononcer.