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Pour conclure, quelques passages de l’autobiographie, concernant l’Origine des Espèces, pourront intéresser le lecteur :


On a dit que le succès de l’Origine des Espèces prouvait « que le sujet était dans l’air, » ou « que les esprits étaient préparés. » Je ne pense pas que cette hypothèse soit strictement exacte, car j’ai sondé à l’occasion plusieurs naturalistes, et je n’en rencontrai jamais qui parussent douter de la permanence des espèces. Lyell et Hooker même, qui m’écoutaient avec intérêt, ne paraissaient nullement partager mon opinion. J’essayai une ou deux fois d’expliquer à des hommes distingués ce que j’entendais par la sélection naturelle, mais j’échouai d’une façon absolue.

Ce qui doit être strictement vrai c’est que des faits innombrables et bien observés étaient enregistrés dans l’esprit des naturalistes, faits prêts à prendre leur place respective aussitôt qu’une théorie suffisamment établie se présenterait pour les recevoir. Un autre élément de succès pour mon livre fut sa dimension modérée, et ceci est dû à l’essai de M. Wallace. Si j’avais publié mon livre tel que je l’avais commencé en 1856, l’ouvrage aurait été quatre fois plus étendu que l’Origine, et bien peu auraient eu la patience de le lire.

Je gagnai beaucoup à en retarder la publication de 1839, époque où ma théorie fut arrêtée dans mon esprit, à 1859, et je ne perdis rien à ce délai, car il m’importait peu que l’on attribuât plus d’originalité à Wallace qu’à moi. Il est évident que son essai aida à faire accueillir ma théorie.



IV.


Nous avons dit plus haut que les dernières épreuves de l’Origine des Espèces furent corrigées à Ilkley, où Darwin était allé faire une cure d’hydrothérapie. Il rentre à Down peu après, au moment où le livre est publié. En même temps qu’il correspond avec ses amis, se tenant au courant de l’accueil fait à son œuvre, il s’occupe des traductions qu’on lui propose de faire, en français et en allemand. La traduction allemande ne lui plaît qu’à moitié, Bronn, l’auteur de celle-ci, ayant pris la liberté d’omettre les passages qui ne lui conviennent pas et d’ajouter ses réflexions personnelles. Singulier traducteur !

Ces affaires secondaires expédiées, Darwin se remet à l’œuvre, pour continuer son grand travail, celui auquel il travaillait quand les circonstances l’obligèrent à écrire l’Origine des Espèces ; mais il le continue sous une forme modifiée : il se décide à prendre successivement divers points qu’il développe avec détails et publiera sous forme de livres isolés. Le 1er janvier 1860, il commence son