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mon esprit sur la classification, les affinités, les instincts des animaux…

« À propos de la question des espèces, j’ai rempli livre de notes après livre de notes, de faits qui commencent à se grouper eux-mêmes et clairement, selon des lois secondaires.

« Je suis charmé d’avoir la preuve de votre bonté puisque vous n’avez pas oublié mes questions sur le croisement des animaux. C’est ma marotte favorite, et je pense réellement qu’un jour il me sera possible de faire quelque chose sur ce sujet inextricable des espèces et des variétés. »

En effet, durant cette époque, — et de nombreuses allusions se rencontrent en d’autres lettres, — Darwin s’occupe beaucoup de la question des espèces ; mais nous reviendrons là-dessus plus loin.



II.


En 1840, Darwin épouse sa cousine, Emma Wedgwood, avec laquelle sa vie s’écoulera désormais pleine de paix et de bonheur pour tous deux, grâce au dévouement de l’une, à la reconnaissance de l’autre. Après son mariage, Darwin se fixe à Londres, où il mène une vie fort retirée, évitant les réunions mondaines et toute perte de temps. Il travaille beaucoup, mais sa santé est mauvaise et l’empêche d’en faire autant qu’il le voudrait. Il s’occupe de son volume sur les Récifs de corail. Son Voyage d’un naturaliste est bien accueilli de ceux qui l’ont lu, mais le nombre en est restreint. La première édition fait, en effet, partie d’une publication volumineuse : la Zoologie du voyage du Beagle, qui ne s’adresse qu’aux spécialistes et dont le gros public n’a cure. C’est la deuxième édition qui seule pénètre réellement dans l’ingens pecus des lecteurs. — Vers cette époque se place la naissance de son premier enfant, dont, en vrai naturaliste, il fait aussitôt un sujet d’observations, et ses notes sur le développement des expressions de ce jeune être deviennent le germe de son livre sur l’Expression des émotions. Mais sa santé ne s’accommode pas de la vie de Londres ; sa femme, d’ailleurs, ne se plaît que médiocrement dans cette ville enfermée : tous deux songent à habiter la campagne.

En se fixant à Down, Darwin comptait bien ne pas abandonner tout à fait la vie de Londres : « J’espère, dit-il, qu’en allant à Londres une fois tous les quinze jours, ou toutes les trois semaines, j’entretiendrai mes relations scientifiques et mon zèle, et que je ne deviendrai pas tout à fait une brute de province. »

Mais, en réalité, à mesure que le temps s’écoule, les visites à Londres deviennent de plus en plus rares, en raison de sa santé principalement et de son travail.